Sésames des soleils, 5 - Un peigne suffit

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Fais, ô mon Dieu, que le visage de cette femme, loin de me scandaliser, édifie ton serviteur.
(Anatole France, Thaïs)

la Méditation de Thaïs de Massenet, jouée par Sarah Chang :




Sésames des soleils.

5. Un peigne suffit



à la seconde où le jour se lève
j'oublie qui je suis

je crois qu'il est arrivé quelque chose au jardin
oui
pas plus tard qu'hier
mais je n'arrive pas à nommer l'évènement
j'ai si bien dormi

au matin suivant
je me prépare comme d'habitude
la pensée légère les pieds prêts à danser
je sens déjà bon
un peigne suffit à me laver

c'est peut-être la dernière heure du dernier jour
ou pire encore
la première heure du jour suivant
et je ne sens rien de différent
pas de sang dans mes flacons
pas de têtes minuscules piquées dans les dents du peigne
pas de corps couchés sur mon corps
j'ai même envie de chanter un air
que j'ai entendu en rêve
en quoi sommes-nous donc faits ?

je n'ouvre pas les volets
je dis tout haut que c'est pour garder la chaleur
personne ne m'écoute et je hoche la tête pour approuver vivement
aucune partie de moi ne fait remarquer à l'autre
que je ne veux surtout pas savoir ce qui est arrivé au jardin

ou alors
je veux bien écarter un rideau pour l'entrevoir à travers les dents du peigne
et les rainures des volets
peut-être arriverai-je alors à mieux supporter ce qui m'attend

je crois que le ciel est descendu jusqu'au centre de la terre
je ne veux rien savoir de plus pour le moment
c'est déjà trop

oui je veux bien l'entrevoir mais pas plus d'un instant
vous comprenez
je n'ai pas assez de larmes pour tout cela
une par dent du peigne elles coulent et le prolongent d'autant de perles
mon peigne est grand mes yeux aussi
mais vous comprenez
cela ne suffira pas à toutes les contenir

finalement
je me retourne et me lave plus longuement que de raison
en fermant les yeux
en priant sous l'eau trop chaude
mon Dieu il me semble que ce matin plus qu'un autre
j'entrevois les deux côtés de la parure
et les deux côtés de la nudité
faites je vous en supplie
faites qu'ils ne se soient pas tous rejoints

puis mes cheveux semblent se rattacher d'eux-mêmes
la colère et la terreur qui auraient pu rester
les gonfler et les dévaster
au point de me faire ressembler à un de ces petits animaux du jardin
sur lesquels sont tombés
ensemble
l'eau et le feu hier
-non j'avais dit que je ne me souvenais de rien d'autre-

un peigne suffit
les cheveux se rattachent d'eux-mêmes
la colère et la terreur rentrent comme deux algues
qui se serait aventurées sur la terre un peu trop tôt avant leur heure
les algues ne marchent pas
ou pas encore qui sait
pas plus que nous
nous n'avons pour le moment coutume de souffrir pour les autres

en quoi sommes-nous donc faits ?
à la seconde où le jour se lève
un peigne suffit à effacer tout cela
et j'ose dire que j'aime mon visage
encore un peu tendu vers l'appel des êtres du dessous de la terre
qui m'ont parlé cette nuit

mais il est l'heure de sortir
de passer par le jardin
je ne connais pas de second chemin
entre ce coté du monde et l'autre

j'ai beau marcher vite et d'un pas distrait
je ne peux plus éviter de voir
que l'eau foudre a peint des yeux à tous les arbres

de la première à la dernière maison
-et je soupçonne qu'il en est de même du premier au dernier continent-
un peigne plus grand que le mien semble avoir couché toute l'herbe
à perte de vue

presque patiemment


Dernière modification le mercredi 20 Décembre 2017 à 14:20:28
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


*
Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)
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