Sésames des soleils, 9- Christoshima

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les images de lumière brisée
dansent devant moi comme un million d'yeux

(John Lennon, Across the universe, 1968)

Across the universe, version chantée par Fiona Apple :



Sésames des soleils

9- Christoshima


quand l'étoile a glissé sur un caillou
elle n'a pas eu très mal
elle s'est simplement assise un moment
sur un pays ou deux
le temps de récupérer
et la lumière qui s'en est ensuivie a balayé nos rétines
comme une vague venue de la mer
-l'autre mer
celle enclose dans les montagnes-

et la marée des montagnes est montée
chaque fragment projeté portait un nom
était quelqu'un
j'observais tous ces petits cailloux en contrejour sur le ciel blanc
je les reconnaissais
je les tenais presque
Keiko Daisuke Eisuke Hikari Sayuri
tous les astronomes de l'observatoire étaient déjà morts
plus personne pour nommer les fragments de petites filles et de petits garçons
avec lesquels j'allais à l'école chaque matin

personne n'a fait attention à la véritable forme du nuage
mais moi j'ai tout de suite reconnu Sayuri
et j'ai dansé en rond
comme à la récréation quand je faisais le tour de la cour en chantant pour l'Empereur
puis j'ai ouvert la bouche
et j'ai accueilli la pluie qui coulait des jambes de mon amie
-je les voyais dépasser du nuage
elles s'agitaient tant
Sayuri semblait prise d'une sorte de gaieté inguérissable-

je la tenais presque
j'ai failli la ramener

au bout de quelques jours la charogne s'est mise à luire
nous ne brûlions pas seulement nos morts
nous brûlions la mort elle-même
leur odeur priait pour nous aider à exister de moins en moins
l'odeur forait des galeries jusque dans mon corps
des tunnels sombres qui m'apaisaient

comme tout le monde je cherchais les miens qui ne me cherchaient pas
il vibraient quelque part à l'intérieur de mon nez
je les flairais
je les tenais presque
mais au moment où mon nez s'est détaché de mon visage
je n'avais plus de main pour le retenir

je les tenais presque
sans doute nous sommes nous croisés sans nous reconnaître

je suis mort le troisième jour
le dos appuyé contre le mur d'une église du quartier
le seul de ses quatre murs encore debout
une croix métallique avait fondu et s'était repliée en forme d'anneau
un peu comme ces cerceaux par lesquels on fait sauter les lions des cirques

j'ai contemplé la croix devenue cercle
ainsi leur dieu était un samouraï au cœur tendre
un peu contorsionniste
ce n'était pas lui
qui avait posé tous ces corbeaux sur nos épaules

j'ai failli survivre
mais d'une seconde à l'autre j'ai lâché mon corps
-s'il y avait eu un jour de l'eau en moi
cela faisait longtemps qu'elle avait été bue
jusqu'à la dernière goutte-
je suis passé par l'anneau
j'ai sauté pile au centre du cerceau
d'une seconde à l'autre j'ai changé de côté

ce n'était pas lui
me disait le cercle de la croix
pas lui qui dormait depuis Tinian dans la soute du B-29
avant de plonger dans le matin d'été
puis se mettre à briller comme le vrai
jadis au mont Thabor

et la marée des montagnes m'a soulevé
j'ai contemplé ce qui restait de ma ville
je cherchais à distinguer le trou de mon école
de celui de ma maison
ce n'était pas lui qui avait dessiné ces cratères sur mon pays
ce n'était pas son genre de pluie
en se faisant anneau il m'assurait que ce soleil ne venait pas de sa forge

j'étais encore assez petit pour comprendre cela
sans autre explication

je crois qu'ils avaient tout simplement perdu leur dieu
ils l'avaient égaré quelque part comme on égare ses clés
ils le cherchaient partout dans le monde
en lançant sur l'un ou l'autre pays
des chiens de feu qui pistaient sa trace

ils auraient mieux fait de me demander avant
surtout qu'il se trouvait juste à côté de moi

puis le monde se met à rapetisser
Sayuri
lune trop légère
je lève les yeux
je vois déjà ses pieds
je la tiens presque

ma dernière vision est très belle
l'anneau en face que je traverse
moi en dessous de moi
Sayuri au-dessus
ses jambes qui s'agitent
je ne sais pas si c'est parce qu'elle veut monter plus haut
où au contraire pour redescendre jusqu'à terre

c'est si beau
par endroits
le long des ses jambes
le ciel déchiré laisse deviner le vrai ciel


6 août 1945-6 août 2015

Dernière modification le vendredi 15 Juillet 2016 à 10:51:14
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


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Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)
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