Jean-Claude Tardif , Compagnon du quotidien...par Florence Noël

Jean-Claude Tardif , Compagnon du quotidien...

par Florence Noël

A propos d'un recueil de Jean-Claude Tardif, acheté sur le marché de la poésie (juin 2002):"L'homme de peu", aux éditions La Dragonne.

 

Je vis les écritures comme des rencontres, intimes, délectables inévitablement. J'aime ingérer avec lenteur et jubilation les mots qui trouvent un véritable écho en moi. Peut-être est-ce pour cela que je cherche sans cesse et trouve si peu souvent. Ca demande d'aller à l'encontre de tout ce qu'on s'est laissé apprendre : le temps le mieux vécu est le temps qui passe le plus lentement, celui dont on peut détailler chaque parcelle de seconde comme l'étendue d'une fête, et en évoquer avec émotion, bien plus tard, l'interminable intensité.


Pour cela peut-être nous faut-il être tout simplement humble face au merveilleux. Ou bien une femme, un homme de peu…

« Pour retenir le quotidien
comme un fruit dans le compotier
il a en héritage
les gestes lents de la vie
qu'il enferme le soir
dans sa montre à gousset
et des mots aux parfums de draps mouillés
qu'il lustre comme des vêtements de travail,
par esprit de compagnonnage ».

Compagnon des mots du quotidien, Jean-Claude Tardif nous fait entrer dans un monde d'une pauvreté presque franciscaine mais enjolivée d'un livre de Jules Vernes qui donne soudain un autre poids aux paroles échangées à la vesprée ou d'une pomme, « qui résiste au couteau »…
Car, oui, en venons-nous à rêver avec le poète, « combien d'histoires dorment en ses flans »…

Une critique ? Peut-être ces quelques textes dont on devine la force du souvenir, l'amertume ou la nostalgie sous l'écorce de références clairement destinées à une seule personne, citée là en dédicace. Et c'est alors comme se sentir jetée hors de l'entendement que l'on partageait sans ombre avec le poète.


Mais on reprend pied au texte suivant et on n'a soudain de cesse de vouloir faire céder sous la dent la mie mystérieuse de ces textes qui nous chantent encore :

« Ecrire
des mots au goût de pain simple

Faire jaillir la lame de l'encre,
Tailler de belles tranches de pages
Qui semblent proses du jour ;
Quotidien des hommes au travail.


(…)

Ecrire simplement
Pour enchanter la vie »

*

Dans une seconde partie, le poète nous invite à entrer dans la lumière si particulière de l'Hiver. Véritable psaume allégorique à la lumière, ces textes sont des bornes d'un voyage intérieur qui ne manque pas d'accents sensuels :

« par la fenêtre, j'observe ce sang,
sa progression sur le trottoir.
sa façon d'effleurer la tige du lilas,
de frôler le lys sur sa gauche
lorsqu'il s'acoquine à la terre.
(…)

nul ne lui prête un regard,
nul ne se penche pour tenter de le saisir,
de le regarder dans la lumière d'hiver

un moteur claque, le rouge-gorge s'envole »

Empreinte d'une nostalgie, d'un temps d'enfance et d'adolescence caressé avec tout l'amour de sa plume, Jean-Claude Tardif touche ici bien plus à l'universel que dans ses dédicaces de L'homme de peu. Que dire de l'invention de ce carnet ensevelissant les jeunes filles caressées autrefois et qu'on ne feuillette plus que pour vérifier :

« que le papier n'a point jauni

qu'il conserve une part
de cette lumière neigeuse
qui nous trouvait à l'aube »

Magnifique écriture dont on peut à chaque instant sentir le rythme harmonieux, le chant qui s'élève des pages…

La conclusion est à l'auteur, fidèle à sa vocation d'humilité :

« Nous savions confusément que tout, toujours
serait à recommencer
quel que fût le livre »

Nous ne doutons pas que ces recommencements feront naître d'autres lumières entre les pages feuilletées.

 


Florence Noël

 

 

* Tardif, né en 1963, vit en Normandie , animateur de la revue "A l'index" et a publié une dizaine de livres



14/06/2006
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