Amnios stellaire : texte de flo sur une infographie de Bernard Flucha
Amnios Stellaire
Il vous faut réserver vos places bien avant le coucher du sommeil. Avant l'ombre des chances qu'effacent nos désirs. Là, précisément, dans l'alignement des pierres de sable, où la marée azure en dessinant, glaisées de mer, les écumes matinales.
Une fois assis, souriez aux ouvreuses, elles ressemblent à des pierres de gel très longuement tiédies dans une saison de mains. Elles ne rient jamais, sauf pour hisser les lustres allumés de brindilles de langues-tues, de pailles d'oeil et de bougies musantes.
Sur la scène,
Le récital d'algues lentes commence d'un seul mouvement d'antenne. Le paradis se tait, au balcon du septième, en commun décillement de patience. Des flammes-peau font, timides, leur entrée, froufroutant des élytres, longilignes, muettes, quelque peu vacillantes. Au poulpe de projecteur, une salive de germe s'évase dans leurs bras. Le Silence s'avance alors, tout au milieu du cercle et, de leur nom secret, féconde tendrement une bulle ovoïde. Puis, humble, se retire, sur la pointe des âmes.
Un décor de varech remonte des abysses. L'assemblée gronde bellement. Nous n'avons déjà plus de souffle, la mer s'est payé avec lui un repas de fruit de ciel, quelque part sur la falaise. Ainsi, vous pouvez veiller profondément sans être dérangés.
Voilà ce que vous attendiez tous : l'infini de naissance.
Elançant leurs bluettes salines, les flammes-fleurs interprètent, frêles, une remontée de comète, quelques cils vibrent, aiguisant par détails le chant de leur poitrine. Les élytres éclosent, se mirent aux eaux sans tain, se dressent étonnées. L'une ouvre le cri. L'éjecte au vent solaire plus d'une éternité d'étoiles plus tard. C'est l'experte en signes. Celle dont les doigts s'apposent en huiles épaisses sur l'onde des flammes-ventres. Elles rayonnent, mûres, fruit humide effrité de songes. Les couleurs se clairsèment et effilent leur vague en de très menues notes d'Eve.
Un océan s'emporte à animer leurs bouches. Les flammes-nymphes retournent les gulf streams, agrippent la membrane, se durcissent grêle de diamant d'eau sève. Génèrent des trous noirs, convulsent l'univers.
Quelques hippocampes dansent au tempo des flammes-mains, apaisant l'implosion des saveurs, la tempête de leurs seins, le surgissement des feux.
Et dans le rond du soir, sous l'œil veillant, les femmes-chrysalides s'accouchent en un jet d'étoiles bleuissant la noctosphère de leur gestation d'ailes.
Et vous applaudissez, à pleines paumes étourdies.
Dans le cercle épuisé, les femmes-stellaires s'étiolent…perle encore sous leurs boucles une rêverie d'ange : un soupir de lumière.
05-03-2000
J'ai tu janvier : (texte et photographie de Florence Noël)
j’ai tu janvier
ses vert-de-gris et saumures d’âme
à perte de vie ses champs
de courtes oraisons
tant pèse le froid sur l’épaule
et nos discours gauchis de misères minuscules
alors qu’on se surprend à pister
les ombres effritées des arbres
ou leur nudité précise
figeant les heures dépolies
encore un jour en boule
vous mes enfants vos chairs tièdes
vos mains lourdes aux draps
l’écho du duvet remué
je dis tendresse ces vestiges de rêves
sur l’oreiller
puis s’en aller
prisonnière de matins nocturnes
de retrouvailles frileuses
à la vesprée
ou alors suffoquée
par la lumière délivrée soudain
des vapes d’eaux opaques
stagnant à hauteur de cri
janvier m’a tue
tu oublieras mon tintement, ami lointain
un jour tu traverseras janvier
un oiseau tremblotant sur le doigt
et son envol seul
aura l’orbe de mon visage
mais là
à l’entre-deux de hameaux
nappes servie de givre
je stoppe claire la voiture
sur la peau rugueuse des labours
deux hérons cendrés
transgressent pour moi seule
l’allégeance tristesse
pour tant de joie
non, je ne dis rien
pas encore
(Florence Noël)
Loch Lintrathnen, à l'entrée de Glenisla, en Ecosse : (Isabelle Servant)
J’ai perdu ma droite et ma gauche, et s’approcher de l’eau d’extrémité est plus difficile que je ne croyais. De multiples fois, je me trouve seulement enfermée dans une route d’arbres, qui tourne et tourne sans s’arrêter, le lac m’est dissimulé entièrement par d’épaisses broussailles. Il me faut très longtemps et du désespoir pour trouver enfin l’issue et l’ouverture. A l’intérieur de cette bulle cachée au monde, un autre monde, puis un autre monde.
Et là, à cette heure de fin de jour d’été, l’eau de l’extrémité se déroule jusqu’à l’horizon des montagnes, jusqu’à Braemar et la forêt de Clova, le ciel qui est un livre donne des teintes bleues et jaunes. On dirait que l’encre nette d’un pêcheur et sa barque a été posée là, mais si je retiens mon souffle, j’entends des bruits très doux de filets contre les flancs de l’embarcation.
Et pour me prouver que les sons existent, un oyster catcher au bec rouge traverse le ciel, déposant la fine lame de son cri répété dans les airs, la signature absolue et définitive de mon cœur.
Isabelle Servant