chronique d'une réunion annoncée
muscade

on comprend qu?il a mal
parce qu?il fait peu de bruit avec sa bouche
et que ses gestes
si minuscules malgré ses doigts sans amarres
n?ont que des cercles à donner
en pâture aux questions

on comprend qu?il retienne
toute l?attention sur cette miette
alourdissant la table de sa présence
inerte
il ne la chasse pas d?un revers de main
ni d?un souffle distrait
ni même d?un soupir caverneux
parce que sans la miette
il devrait relever ce regard vers le nôtre
et s?affronter

on comprend qu?il dise des mots
qui sont des paravents pour les angoisses
surtout les nôtres
il ne sait pas quoi faire de nos gentillesses
nos convenances, nos empêtrements de formules et
de souhaits compassés
et ne veut pas nous sauver de nos naufrages
nos noyades, c?est un peu de colère qui vient distraire
l?invivable

hier ton fils s?est craché en moto
il ne marchera plus
il était pour moi comme un dessin sans bord
formé par des éclaboussures d?allusions
et aujourd'hui ta peine imaginée
-si c?était les miennes?-
d?être ce parent d?un fils en souffrance
et d?un fils bientôt
à roulettes

hier, je me réjouissais de te partager mes cerises
aujourd?hui, la passoire vide penche
dérisoire,
vers l?évier nettoyé.



Parfois, le texte est si plein, si exact, que d'autres mots ne serviraient à rien. Ce texte-là est ainsi.
muscade

oui, mais il est faux.
Il n'est que l'expression urgente d'une angoisse de rencontre.
La réalité fut tout autre :


chevalier c?est un nom de polissure ancienne
mais tu es un peu cela
l?armure serait de trop
c?est une pelure bien plus fine encore
sous la peau
que ton âme
et pourtant ce sont tes yeux francs
le vitrail du regard
ouvert, avec juste ce qu?il faut de plomb dedans
mais c?est un homme debout
qui parle avec une conscience entière
de l?avant
la rupture
de l?après

de sa femme qui le vit moins bien
« pour l?instant » j?ose provoquant
tremblant de provoquer
et lui
indemne,
sans repousser l?attaque, prêt déjà
«oui, pour l?instant »

tu as passé la veillée d?armes
les couloirs sans manger
failli défaillir
l?attente
ton fils est vivant
le reste n?est plus
mais des cerises sans doute
demain, lundi
j?en partagerai
et tu riras comme après la bataille
en étouffant le spectre du dragon
sous ton pied de père
vaillant et anonyme

2 appréciations
Hors-ligne
pas compris ce que tu veux dire par "il est faux"?
muscade

le premier texte était le fruit de la compassion et d'une angoisse face à une réunion de travail avec ce collègue qui traverse cette épreuve depuis deux jours. C'était un texte "projectif".

La réalité fut tout autre. Elle fut le second texte. Voila. En soi, il n'est pas faux, il était une possibilité, il pouvait être vrai, il en disait beaucoup sur moi, sur ma manière de vivre et d'appréhender cela, mais il s'est avéré ne pas du tout correspondre à ce qui s'est en fait déroulé. Voila tout.

Oui, c'est vrai, "il en disait beaucoup sur moi"
Il est donc parfaitement juste car, si l'on considère que tout texte parle de soi par le biais d'un support (qu'on le veuille ou non !), celui-ci est absolument révélateur de ce que "toi" tu projetais de la situation, donc de ce que "toi" tu es ou serais en une situation donnée. En ce sens il ne peut être faux...

0 appréciations
Hors-ligne
Je rebondis sur ce que dit Ile.

Un jour j'ai dit à ma psy : "mais je ne sais pas si c'est vrai."

Elle m'a répondu "Rien n'est jamais vrai. Ce qui m'intéresse c'est votre vérité."


2 appréciations
Hors-ligne
c'est plutôt chouette, en fait, la "vraie" réaction (dans le second texte)
plutôt crâne,et tout à fait compréhensible...

c'est bien comme ça qu'on réagit, en réalité (style il se passe 1, on est catastrophé, on se dit pourvu qu'il ne se passe pas 2,et plouf il se passe 2, on encaisse, et on dit pourvu qu'il ne se passe pas 3, hein, il se passe 3 on accepte pourvu qu'il n'y ait pas 4 etc... et finalement la seule chose qu'on désire c'est qu'il n'y ait pas la mort)
muscade

ce n?est qu?au troisième jour
qu?ils perçurent le grand crissement originel
du voile du temple
l?écarlate déchirure
et refluèrent dans la nuit énucléée
presque insane
des cailloux sertis dans les poings et
ces inspirations malgré tout
que l?on ingurgite
comme dernier repas

on leur avait communiqué maintenant
il dormait, par exprès
pour enfoncer la douleur économiser le corps
- quant au voyage de l?esprit?-
le fils dans la chambre
mais la couverture que borda le départ
fut celle d?un interne du week end
aux paroles cliniques
acclimatées aux hommes muets
aux tuyaux tentaculaires
au vacarme hachuré des machines
pour suppléer à toutes sympathies
coupables

l?enfant de 30 ans dort sous influence
les côtes, le sternum défoncés
les poumons infectés
et puis cette colonnes sous tuteurs
pas assez d?air
ou trop à avaler

c?est fichu c?est fichu ce sommeil
antichambre d?un disparition prochaine

au troisième jour
ils virent qu?avant d?apprendre à rouler
l?homme doit tomber à terre
plus bas que l?air
écorcher sa poitrine
en suspension
dans une parenthèse du temps

0 appréciations
Hors-ligne
Texte magnifique de non-dits et de cris posés sur ce ring où les doigts silencent des rondes de nains, dans cette arène où la racine du cri explose comme une impuissance de taureau dans l?exubérance de la mort.
Mes quelques lignes ont été écrites sur ce qu?en apparence délivrait le texte, avant de lire les commentaires? mais si la réalité fut tout autre?!
Mario
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