L'espoir de livre

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On se réveille un jour, et l?heure n?intervient pas, ce peut être trois heures de l?après midi ou le soir tard ou le matin très tôt, peu importe : on se réveille, enfin.

Jusque là, on dormait. On dormait debout, on dormait mangeant, on dormait même baisant - ce qui est grave, mais on n?en était pas conscients, puisqu?on dormait. On dormait conduisant la bagnole par essence pourrie tout en grommelant des injures contre les autres qui conduisent, eux, de vrais voitures pas ce truc dégueu que nous voudrions voir relégué au plus profond du plus profond garage ; quand ce n?est pas dans un ravin, carrément. Mais alors, on ferait comment pour aller au bureau, hein ?

Car nous y allons, à ce foutu bureau. Ou à l?usine, ce qui revient au même mais on ne le sait pas. De toutes facons, on dormait, ce jour-là, où qu?on aille.

Le réveil nous est venu avec l?allégresse : la seconde avant, on continuait de dormir, confortablement installés devant l?écran. Oui, on a eu le temps de garer le char entre la mercédes du patron et la bmw de l?assistante blonde. On a monté les escaliers avec notre célérité coutumière. On a ouvert la porte, salué la standartiste d?un sourire si on est un homme, d?un bisou si on est une femme, d?un sourire ET d?un bisou si on a moins de trente ans et si elle est jeune et jolie. On a arpenté le couloir à pas de course, manière de faire voir au chef qu?on est plein d?énergie ce matin. Et puis on s?est installé devant l?écran.

C?est là qu?on reprends nos rêves brumeux, habituellement.

Mais ce jour-là, le jour du livre, on s?est senti soudain électrisé. Exité. Enervé. Anxieux. En attente. Quelque chose allait se produire, sans que nous arrivions à savoir ce que cela pouvait bien être. Indéfinissable, le livre nous a frolé au passage. C?est à ce moment que nous savons que nous ne sommes plus seul dans ce placard que l?autre s?obstine à nommer bureau ; un placard avec une fenêtre.

Une idée de livre tourbillonne sans s?accrocher - si elle s?accrochait ce serait bien commode : nous pourrions au moins la prendre en main : mais là, non. On sent son souffle, son parfum, sa tiédeur. On ose à peine remuer un pied, sachant que trop bouger la ferait disparaitre. Nous ne sommes plus seul, quelque chose, ou quelqu?un, nous habite. Nous sommes possédés. D?autres, ceux qui sont sains d?esprits, en mouraient de peur.

Pour nous, au contraire, c?est la joie : on sait que cette chose vague qui nous manquait depuis quelques semaines, ou mois, ou années, est en train de prendre forme ; on peut déja, alors qu?il n?est encore qu?une boule de pensées nébuleuses et mouvantes, le nommer, sans pouvoir le définir : c?est le livre, ce ne peut être que cela. On sait que nous sommes revenus sur la planète des zombis. Que les jours vont venir, pendant lesquels nous ne saurons plus ce que nous sommes, que nous ne serons plus ce que nous sommes. Que les heures vont passer, où nous ne verrons qu?une lueur, et que ce phare sans nom ne percera pas toujours la nuit dans laquelle nous allons sombrer.

On sait le mal du mot qui fuit, de la phrase qui résiste, de cette suite, ou cette fin, qui se refuse. On sait que ce sera encore une fois la lutte, le combat et peut être le viol, sans savoir qui, de nous ou du livre sera le violé. On le sait, mais on y va quand même. On le sait, et on est heureux.

*

On a tout laissé. On était où en ce moment-là ? Peut-être au milieu de la réunion hebdomadaire, nom d?une pipe de quoi a-t-on bien pu parler ce jour-là ? Non que je sois particulièrement attentive à ces sortes de choses, on sait qu?elle ne furent crées que dans le seul but de permettre à l?assistant de se faire mousser. Je me contente donc, habituellement, d?un sourire vague et de quelque hochements de tête qui peuvent passer indifféremment pour des approbations ou des signes d?intelligence. Ce jour là, je n?ai pas eu le temps de me mettre en conduite assistée : le livre s?est carrément installé sur mes genoux dès les premières minutes, et je ne me souviens que d?une chose : c?est qu?à partir de la troisième phrase de l?analyste qui nous exposait les mérites comparés des longs et des courts termes en matière de placements, je n?ai plus existé.

Je suis partie. Avec le livre. Avec l?espoir de livre.



CC

CC

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désolée, je crois que je me suis trompée de forum, j'aurais dû le poster dans "Essais "

CC
flo

Superbement écrit. Vraiment, Lise voici un style, et dedans un rytme et dedans un sens, et puis des mots bien à vous avec votre machouillage dedans et cela donne envie, vraiment, de le lire un jour... le livre

*

les rubriques du forum sont des incitations à écrire pas des carcans... postez où vous voulez!
Nasril et Anduril

Wow, plus efficace que toutes les campagnes ppur la lecture réunies. Le livre vu comme un amant qui nous envahit, nous prend
et fracasse les figures géométriques répétitives tracées en ligne claire que nous croyions être notre vie, pour nous rendre à notre vérité originelle de chaos conscent en formation et création/destruction permanente.
Les auteurs dont les livres t'ont fait cet effet peuvent crever avec le sourire ; ils ont visiblement soulevé des montagnes.
C'est beau, une lectrice qui jouit *_* (ceci dit en tout mal tout déshonneur). Elle devient à son tour belle à lire.
(et quel prénom prédestiné, "Lise" )

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ah vous ne pouvez pas savoir comme c'est bon, comme ça fait du bien à l'âme, de se retrouver avec des gens qui savent lire, et qui ne sont pas trop surpris par mes mots ! Il ne m'en faudra pas plus pour que je le termine, ce p... de s...rie de m...e de LIVRE.

En tout mal tout désohonneur, ( je meurs de rire, j'ADORE le déshonneur, si le mal me fait pleurer!) merci pour le message de Nasril et Anduril ; merci aussi à Flo. J'aime bien le "machouillage", hé, on machouille ce qu'on peut, on n'est pas obligé(e)s d'avaler, non, mais, et la liberté, alors ?

je crois qu'après plus de 5 ans de web et de recherches toujours plus infructueuses les unes que les autres, j'ai enfin trouvé l'endroit dans lequel je vais pouvoir présenter mon texte sur l'Ecrivain-Monstre : j'y travaille.

ps : mais pas un monstre malfaisant, hein ? entendons-nous.

CC
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