Que se rencontrent mal les gens. L?, c?est juste au moment o? nous avons parl?, j??voque un instant la voix du vieil ami qui, tellement atteint dans son identit?, voit lui pousser l?envie de tout envoyer pa?tre : comment, dit-il, dis-moi isa comment on peut encore vivre de ce m?tier, maintenant ? (c?est faire pousser des arbres) et non, la situation ne s?am?liore pas : une ann?e, il n?y a pas assez de fruits. D?ficits. Donc, on fait plus. Mais l?ann?e suivante, les prix, cette d?it?, les prix sont trop bas, centaines et centaines de journ?es de travail pour arriver ? perdre de l?argent, travaillez plus pour gagner moins, sauf qu?en plus, non seulement vous ne gagnez pas autant, mais vous perdez votre capital. Au temps pour vous et vos levers ? quatre heures dans la ros?e du mois d?ao?t. C?en est trop, j?arr?te, il dit, je vends mes terres, je ne garde que le minimum. Et on sent dans l?homme maigre et brun une rivi?re am?re, une perte d'orientation.
Et dans le temps que je marche me voil? de nouveau sur la place du cirque. Il a un beau nom, Isis, mais en cet instant il ne fonctionne pas, le festival des spectacles de rue fait une pause, et des groupes ?pars font de tr?s beaux num?ros pour la foule des visiteurs, touristes pour la plupart, les proven?aux timides et distants ne sortant gu?re l??t?.
Flash. J?ai l?impression d??tre ? Beaubourg, tout ? coup. On aurait d?racin? le quartier et le mus?e. On les aurait d?plac?s ici pour deux trois jours. Ce n?est pas que je n?aime pas ces num?ros, au contraire, j?aime, mais Beaubourg avec la countat veneissin, disons que ?a ne va pas ensemble. Il me vient le soup?on que, avoir la moindre id?e du contexte g?n?ral dans lequel ils font leur festival est le moindre, mais alors le moindre des soucis des organisateurs.
Tiens, un exemple tout sec : un tr?s bon artiste, l?air tr?s tr?s m?chant, fait un num?ro de jonglerie, excellent, et on sent que c?est tout ? fait dans son but d?exalter la virilit? au plus haut point, et ?a marche : on ne peut s?emp?cher d?admirer cette peau, ces yeux pleins de feu la souplesse du tigre, la d?cision du ma?tre, ?a marche?
Sauf qu?? un moment, sais pas ce qui s?est pass? dans sa t?te, il a besoin d?un b?ton pour faire quelque chose, et, l?air encore plus f?roce, regardez-moi, vils paysans, se pr?cipite sur l?arbre de Jud?e, ?norme, qui donne une ombre sur la place. On retient la respiration, que va-t-il faire avec sa branche ? fouetter quelqu?un ?
Et alors, chpaf : vous avez d?j? essay? de casser une branche d?arbre de Jud?e qui a d?j? mis quelques dizaines d?ann?es dans sa besace? non ? eh ben c?est impossible. L??vidence me revient, alors qu?elle n?aurait jamais d? partir, au moment o? je vois le pauvre jeune homme, essayant par tous les moyens de casser sa branche, et n?y arrivant pas. Il a l?air fin.
Un flottement parcourt l?assembl?e, elle voudrait bien rire, mais elle a peur de blesser le pauvre homme qui continue ? s?escrimer, l?-bas, l?air m?chant, sur son arbre. C?est path?tique.
Je soupire et reprends le chemin de la Nesque. C?est pas encore demain que les gens se rencontreront, ?a c?est s?r.