Valse à trois temps




Je m?appelle Véronica, j?ai 20 ans. Aujourd?hui, je viens d?obtenir mon permis, après deux essais infructueux. Je sors de chez mon ami. Il est étudiant en médecine, il est beau comme un dieu, et encore dieu est impalpable comme du sucre glace, lui sa chair est veloutée à s?en damner. Je roule vite, je dois être à 14 heures 25 en salle 45, près de l?auditoire Ferrer du Campus pour passer mon dernier examen. Il me reste à traverser le rond point dont le nom m?échappera toujours, avec cette statue équestre de ce soldat ridiculement orgueilleux défiant le manège tournoyant des voitures. Je suis heureuse, je ne sais plus la route, la sortie, je tourne, je tourne, l?heure passe?


Je m?appelle Véronica Alba, j?ai 40 ans, je viens d?obtenir mon C4, après 15 ans de bons et loyaux services dans l?administration du théâtre Royal. Je quitte le parking, la barrière refuse de s?ouvrir, il me faut sortir, réclamer le vigile, qu?il ouvre, que je quitte ce monde, les odeurs chaudes emplies d?effluves de maquillages, les matins cendreux du théâtre, la résonnance pourpre des planches et le froissement continu des rideaux qui se referment sur moi. Je prends le rond-point du général Hourftitt, j?évite l?avenue commerçante trop bondée, trop lumineuse, trop joyeuse, trop pas moi. Aller vers la gare, se perdre à cent mille lieux, ou à la mer, ou les forêts à aimer jusqu?à même la peau ? Je tourne, je tourne, je tourne, qu?importe, le train ne m?attend pas, j?attends tout de lui.


Je m?appelle Véronica, Alba, D?al Dorado, j?ai 60 ans, je viens de quitter le dernier homme de ma vie, Teddy, après six longs mois d?agonie. Il était conducteur de train, un cancer l?a mangé des pieds jusqu?à la peau du crâne et pourtant il n?est pas un micron de son épiderme que je n?aie embrassé à pleine bouche, à pleine rage, à plein désespoir. Il m?a dit au revoir, la vie, cela tourne, cela tourne, cela tourne,? Et le colonel Serfatit me salue sur son cheval de glace, son épée s?hélice somme un grand spectre d?étendard, et il m?ordonne sculpturalement « prends tout droit, suis mon bras, mon rêve de défaites cultivable, de retraite digne d?être immortelle ». Ma vue est étrangement trouble, mais je distingue d?ici le sommet d?un chapiteau de cirque qui pointe ses fanions dans le parc des pendus. Je ne tourne plus, j?attends tout de moi.

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C'est magistral : trois paragraphes, tout est dit.
Un tour de force. Et jusqu'au nom de ce général qui change, qui nous relie à chaque étape de la vie de Véronique par un fil ténu, fragile comme la mémoire.
CC
flo

Merci de relire ce texte déjà ancien. Ca le fait revivre et je l'ai relu et redécouvert.

ON lance un texte ici, parfois on oublie qu'il peut rebondir aussi...

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Je vais essayer ce rythme, je l'ai fait, mais .. en beaucoup plus long, en TROP long, et conclusion : le texte s'englue dans lui-même, beurgh, poubelle ! tandis qu'en petits paragraphes, comme dans cette valse à trois temps, tu as su garder la légèreté, l'essentiel pour une danse, non ?

Oui, je sais : y'a ben des jours où's qu'on se sent des ailes au bout de doigts ... Les moments privilégiés, mais SI, si, ça existe !
CC
flo

C'est parce que je l'ai écrit dans un atelier où j'avais une contrainte de temps très courte. Ca aide!

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Hors-ligne
Les ateliers... y'a du bon, y'a du moins bon, y'a même du très mauvais. J'en sors - enfin, j'en suis sortie depuis deux ans, ouf. Il n'y a que maintenant que l'émerge, ouais.. il m'a fallu deux ans pour m'en remettre. Je reste très, très dubitative à leur sujet.

Je parle uniquement des ateliers virtuels : je pense que dnas le réel, c'est certainement différent.
CC
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