Il y a une faille
flo

vieux petit texte, mais évoqué aujourd'hui par jean-pierre clémençon, ailleurs;

Alors, je vous le relivre... pour le plaisir.

*

Il y a une faille. Dans la toile bleue de l?univers. Un accroc vivant et inquiet comme un regret impénitent. Il y a cette béance à travers laquelle je respire, ces jours de trop grande affluence où les portes me tiennent lieu de douane. Et je ferme la frontière du monde pour m?agripper à cette issue.

En ce moment, je la repasse. Vois comme elle soupire sous le fer, la vapeur s?éprend de ses fibres et je m?applique sur les lisières, précisément là où de temps en temps, l?étole rebique, se rebiffe, crolle.

Je le raconte aux oiseaux. Des corbeaux au plumage humide, qui picore le linge défait, ratatiné dans l?odeur de frais émanant de la malle.

Je me contente de leur présence. Depuis que j?ai perdu le sillage des anges qui traversaient quelques fois jusqu?à moi. On n?est jamais digne d?un verre d?eau et j?ai osé le refuser.

En ce moment, je regarde au travers. Partout, à tout moment. Bien sûr, les souris me voient refaire les lits, dans ces gestes amples, avatars d?une liberté publicitaire. Elles ne soupçonnent pas un instant que je déploie un horizon, une prairie, un lac, un mont.

Je me confie au léopard souple chaleur au pied du lit. Je veux bien qu?il lèche mes mains, mais juste le soir, en ronronnant. Les griffures d?ambre sur son pelage me réjouissent. Je sens des tenailles et des crics bourdonner dans mon ventre sec. Et je fourrage dans ses poils pour deviner l?odeur des jungles bruissant sur le plafond éteint.

J?envie cet autre côté, je le regarde avidement, parfois sous les yeux de l?orque de baignoire, (Comment fait-il pour vivre dans un si petit espace ?) Je le projette dans mon miroir et là les océans grignotent des remords de terres et des fjords efflanqués.

Dans ma malle les essuies s?accumulent, les serviettes de bains s?empilent, un oiseau trône sur la colonne, petit stylite impassible. La table se couvre de mouchoirs, damiers de couleurs variées. Ils n?ont en commun qu?un serrement, une chiffonnade, un épanchement. Ils ont le compte des sanglots. Je les efface à coup de fer.

De l?autre côté, un chat danse. Ses pattes sont dorées comme ce rire, le tien peut-être, qui sonne l?angélus dans ma tête.

Je voudrais tant le caresser, je l?attire avec du lait et des senteurs de cuisine rousse. Jambe de sable de l?Italie. Mais il ne vient jamais ici.

Alors, je lisse les plaies de la faille, l?univers saigne en soupir. La cicatrice est toujours vive.

Comme moi, souviens-toi que je t?aimais.


2 appréciations
Hors-ligne
il est drôlement beau, j'ai eu du mal à y revenir, à ce texte, je me souviens de la période et du thème donné et heinbon , pas trop envie de m'en souvenir de cette période, du moins de ce côté-là des choses

il me semble que dans sa cette fois réelle et évidente simplicité, ce texte dit avec grâce que c'est bien la réalité dont tu parles d'habitude dans tes poèmes
et pour ce message droit et clair, je le trouve extrêmement émouvant
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