LA FEMME RAT

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LA FEMME RAT

Du plus profond de la nuit, le rat à tête de femme guette.
Avide, elle attend la main de l?homme- qui-la- nourrit.
Immobile au creux de son nichoir, visage aux traits pointus, elle darde de ses yeux l?embrasure de la porte.
Elle a faim.
Tout son corps se tord du désir de cette main d?homme qui va apaiser son ventre.
La porte s?ouvre lentement. L?homme- qui- la- nourrit est là.
Le flanc haletant, elle descend du hamac, sa longue queue nue en balancier et saute sur la plate forme de sa cage.
Elle veut appeler. Sa langue sectionnée l?empêche d?articuler. Assise sur les fesses, elle hume l?air afin de mieux percevoir ce que l?odeur du maître peut lui donner comme information. Elle arpente le fond de sa cage, se dresse, les pattes avant en prière.
-Prend moi, maître, semble- t- elle dire. Viens et nourris- moi.
Elle se toilette soigneusement et lisse la soie de ses poils bruns. Son visage de femme s?éclaire.
L?homme- qui- la- nourrit approche et s?arrête devant sa cage.
-Allez la belle, on va te sortir un peu de là.
Elle renifle, le nez entre les barreaux. Ses yeux noirs suivent les moindres mouvements du maître. Deux mains font coulisser la porte et empoignent fermement le corps de la femme rat. Des mains qui puent le tabac et l?alcool. Qui serrent trop fort. Elle couine. Il embrasse sèchement sa petite bouche puis la pose sur son épaule sans ménagement.
-Mais oui, tu vas bouffer, sale petit rat. Tiens. Mange ! Mange, maintenant, dit le maître en offrant à son animal domestique un morceau de b?uf cru.
Elle s?en empare et dévore, gloutonne. Le sang coule en filet sur son pelage gris brun. Elle fait claquer ses dents de contentement. Elle aime le goût de la viande, à présent. Elle a besoin de sang pour reprendre force et vitalité.
-Voilà, ma belle. Mange. C?est bien. Régale-toi.
Immensément longue et glabre, la queue de la femme rat s?enroule autour de son cou. Il la caresse doucement.
-Ah tu en voulais de la queue toi, ma salope. Eh bien, te voilà servie. Plus longue queue pendue à ton cul, je ne pense pas que t?en aies jamais eue ! Ricane-t-il. Fallait pas me tromper, ma belle. Non. Fallait pas.
Ses yeux fous prennent une inquiétante couleur sombre tandis que ses pupilles se dilatent.

« T?es toujours enfermé dans ton labo, Joseph?Jamais de temps pour t?occuper de moi ! » Minaude-t-il en imitant une voix plaintive de femme. C?était pas une raison pour t?envoyer en l?air avec ce guadeloupéen ! Ah !... T?as voulu te balancer en hamac. Ben voilà ! T?es servie. Danse maintenant.
Et il l?envoie valser d?un revers de main. La femme rat supplie, la tête inclinée. Son mari, elle le sait, ne se laissera pas attendrir. Elle l?aime encore pourtant. Malgré ce qu?elle a fait. Mais à vingt sept ans, ce n?est pas toujours facile de vivre seule, à s?ennuyer dans une grande maison silencieuse. Alors bien sûr, le jour où quelqu?un est passé, elle a succombé?
Une nuit, c?est en pleine ivresse érotique qu?il l?avait surprise, bouche en coupe à laper le nectar d?un autre, affamée qu?elle était par autant de solitude. Il avait foncé. Saisie aux cheveux et entraînée sans ménagement derrière lui. Ramenée de force. Enfermée à double tour dans un petit cagibi contigu au laboratoire, aussi nue qu?il l?avait pêchée hors de sa perversité.
Elle avait peur .Elle avait froid. La sueur perlait le long de son dos et elle frissonnait d?angoisse. Elle avait beau implorer et gémir, il vociférait, menaçait. Elle l?avait entendu pleurer, hurler de façon démoniaque. Sangloter.
Elle comprit rapidement qu?il basculait dans la folie.
Un soir, il l?avait tirée de son trou à rat et lui avait sectionné la langue.
-Ta sale langue de pute, je vais te la foutre dans du formol, tu n?en auras plus besoin maintenant.
Et il l?avait rejetée, éperdue de douleur, amputée. Elle était restée inconsciente des jours sans doute. Son cerveau refusait à admettre qu?un simple adultère ait pu l?amener à subir une torture aussi odieuse. Son ami n?allait-il pas venir la tirer de là ? Il savait bien où elle habitait. S?il l?aimait, il viendrait !
Au lendemain elle s?était réveillée, comateuse. C?est alors, qu?elle prit conscience que son corps s?était transformé.
Elle était devenue un rat. Un rat énorme. Un rat à tête de femme. Le savant fou avait pris soin d?installer un long miroir contre le mur de sa grande cage. Il lui était impossible d?échapper à sa nouvelle image.
-Regarde comme tu es belle, maintenant ! Regarde- toi, ma femme ! Vois et crève comme le rat que tu es ! Hurlait le dément chaque fois qu?il venait la nourrir. Puis il partait dans des délires hystériques.
Un soir qu?il s?éloignait, une fois de plus, en proférant les pires insultes, laissant la bête recroquevillée dans un coin, une scène du passé lui revint douloureusement en mémoire :

-« T?es toujours enfermé dans ton labo, Joseph, jamais de temps pour t?occuper de moi?Mais qu?est ce que tu fais enfermé comme ça des jours entiers ? Tu travailles à quoi ? Tu ne vas quand même pas essayer de me faire croire que c?est important au point d?oublier que j?existe ! J?en ai marre, moi tu sais ! Un jour, ça finira mal, tout ça?
Il l?avait saisie par le cou brutalement, ce qui n?était pas dans ses habitudes.
-Ecoute Lara, je veux réaliser un rêve. Un grand rêve que beaucoup d?autres avant moi ont eu envie de concrétiser. Je cherche l?immortalité ! Je suis sur le point de réussir ! Je vais transférer l?esprit humain dans le corps d?un animal. D?abord d?un animal. Pour voir si ça marche. Afin de garder la mémoire, les acquis, l?intellect humain intacts. Je refuse que l?esprit disparaisse avec la matière. Il faut que nos capacités cérébrales puissent perdurer, Lara. Je te garantis que rien d?autre ne compte et que je dois y arriver coûte que coûte.
-Tu es fou. Tu as peur de la mort. C?est tout. Et pendant que tu cherches une illusoire éternité, ta vie s?écoule, et tu n?en profites pas, avait elle dit en tournant les talons.
Il l?avait rattrapée et entraînée dans son laboratoire.

Là était un fatras d?anneaux d?or d?un format étonnant, de colonnes creuses en verre et de machines incompréhensibles. Dans des cages, des rats, des cobayes grouillaient. Un désordre et une atmosphère lourde régnaient. Partout des feuilles éparses noircies de graphiques et de calcul. Des flacons remplis de formaldéhyde contenaient des embryons d'animaux et des corps visqueux déformés. Lara avait été prise de nausée : elle avait l?impression d?être dans la cave d?un paranoïaque. Mais elle s?était contenue et avait conservé une apparence calme et attentive.
Il lui avait avoué qu?il manipulait l?ADN en virtuose. Puis il avait expliqué comment il s?y prenait pour tenter de maîtriser chacune des vésicules du tube nerveux embryonnaire pour ensuite effectuer la « transmigration de l?âme ». L?impalpable hors de la matière, il lui faudrait le saisir et l?assimiler à la tête d?un rat. Ce rongeur ayant une vive intelligence, l?osmose ne poserait aucun problème. Quelques petites imperfections subsistaient encore, bien sûr. Mais il avait obtenu des fonds importants du ministère de la défense nationale pour financer ses recherches. Ils exigeaient un espion hors norme. Il avait déposé le projet de créer un être hybride, capable de vivre éternellement en se transmutant rapidement en fonction des situations. Avec comme atout, une mémoire propre à stocker toutes les informations, de les emmagasiner, de les restituer et son esprit n?aurait pas de limite. Il aurait à la fois la force cérébrale d?un surdoué, les capacités animales et l?instinct du rat. Un homme rat, au physique humain, mais bien différent de tous, capable de se changer en rat en temps utiles. Une merveille, une perfection, disait- il. Manipuler les cellules humaines et celles du rat avait été un jeu d?enfant pour Joseph.
- Je suis né pour cela, Lara ! Pour perfectionner le brouillon qu?à fait Dieu en créant l?Homme? Lara ! Je suis un grand prophète !
Haussant les épaules, elle était sortie en claquant la porte, le c?ur battant. Son homme était devenu complètement fou. Mieux valait appeler un médecin. Mais ce jour-là, elle ne l?avait pas fait. Non. Elle n?avait rien fait du tout. Comme si elle se sentait écrasée par le poids de la honte de cette folie ridicule.
Bien sûr, dès qu?elle avait compris que Joseph avait perdu l?esprit, elle avait rassemblé quelques affaires et elle s?était sauvée chez un ami qu?elle connaissait depuis longtemps. Il l?avait accueillie chaleureusement. Elle n?avait rien raconté des troubles mentaux de son mari.
Quand son ami l?avait serrée dans ses bras, elle s?était laissée aller?
Malheureusement depuis sa mutation, elle avait appris qui était le maître, et qui décidait de son destin. Joseph était sans doute paranoïaque, mais il avait du génie.
Et c?était même sur elle qu?il avait fait son expérience ! A un détail près : son visage était resté humain. Luttant constamment contre son tortionnaire, son intelligence évoluait de plus en plus et elle sentait qu?il serait impossible à Joseph de l?éliminer. Sa soumission lui en était d?autant plus intolérable. Elle aurait donné cher pour lui sauter à la gorge et lui trancher la carotide.
Elle avait en outre gagné la vivacité du rat, ce qui n?était pas négligeable.

Elle ne pensait plus qu?à ça : la vengeance. Sa peur avait fait d?elle une bête traquée dangereuse. Elle trouverait le moyen de lui échapper, de se retourner contre lui. Et elle lui lancerait sa peur à la figure. Avec une telle violence qu?il allait en crever.

Jusqu? à cette nuit où elle avait été réveillée par un gros choc au sol. Elle avait aperçu un corps dans la pénombre.
-T?as d?la visite, princesse ! Avait dit Joseph.
Il avait le dos rond des gens fatigué et il tourna les talons. Mais il n?avait pas oublié de faire grincer la clé dans la serrure. La femme rat s?était approchée en sautillant par petits bonds, les oreilles dressées, croupe tendue. Jean Pierre! Il l?avait assommé et emmené à elle !
-Réveille- toi, secoue- toi ! Il faut que tu nous sortes de là ! Aide- moi, je t?en prie !
La femme rat tourne et renifle le corps immobile. Jean Pierre ouvre un ?il. Son regard est halluciné. Il sourit
-Mm, Lara. Je t?ai retrouvée, t?es belle !
-Mais qu?est ce qu?il t?a fait ? Il t?a drogué ? T?es tout bizarre !
-Ben rien ! J?en sais rien ! Qui ça ? Viens contre moi !
-Mais regarde-moi ! Je suis devenue un rat !!
-Un rat ! T?es folle ? T?es normale ! Qu?est ce que tu me racontes ? Ah, je me sens tout à fait réveillé maintenant. Il est où le mari ? Parti ? Super. Viens- là, ma belle.

Pas un rat ? Lara se regarde dans la glace. Elle n?a pas retrouvé son apparence de femme ! Quelque chose déconne? Comment ne la voit il pas telle qu'elle est?
Il la câline, doucement, tendrement, il l?attire à lui et elle sent son sexe d?homme se durcir
-Non Jean Pierre, ne fais pas ça ! C?est dégoûtant, je suis devenue un animal !
-Oui chérie, une bête de sexe, tu n?as pas changé.
Lara oublie tout sous ses caresses ; Sa croupe se tend et elle sent bouillir en elle le feu de son désir...
Apaisés et repus, ils s?endorment, imbriqués l?un dans l?autre. Et au petit jour, la ratte se réveille. Seule dans sa cage. L?homme a disparu. Elle a du rêver, probablement. La tête lui fait mal, comme si elle avait bu, bien trop bu. Ses membres sont ankylosés, et elle n?a qu?une envie : vomir. Mais un rat ne vomit pas.

Durant une vingtaine de jours, elle s?évertua à confectionner un nid de chanvre, de paille et de lin pour se protéger. L?instinct grégaire prédominait. Elle devenait nerveuse et mangeait tout ce qu?elle pouvait trouver comme déchets.
Puis un jour, elle mit bas à huit ratons hybrides.
-J?ai réussi ! Exultait Joseph, l?interfécondité ! On a perpétué une espèce nouvelle !
Le savant manipulait les petits monstres et choisissait les plus forts. L?instinct de la ratte la rendait agressive. Monstrueux ou pas, elle voulait ses petits. Génétiquement modifiés ou pas.
Joseph, un sac de toile à la main, ne se laissait pas attendrir :
-OH ? Regarde- le, celui- là, on dirait ton guadeloupéen ! Ah que c?est drôle ! Allez hop, tête de rat, au fond du sac, tu me rappelles trop ton père ! A moins que je te garde pour des tortures plus raffinées. Tiens au fait, Lara, je ne t?ai pas dit comment il avait fini, ton Jean Pierre ? Non ? Tu ne sais pas ? Ah ?... Il a chopé une leptospirose, ce con ! Et il n?a pas survécu longtemps, crois moi ! Encore un qui aurait mieux fait d?éviter tes muqueuses !! Et il partit d?un rire bruyant, son sac couinant sous le bras.
Il en noya quelques uns dans un seau devant elle et lui en laissa trois.
-Tiens, nourris moi ça, pétasse, et fais m?en des mutants costauds. Que je puisse les dresser et les transmuter encore. Ma gloire en dépend.
Désespérée à l?idée du sort qui attendait ces pauvres petits, Lara pensa les étouffer sous son propre poids. Mais l?instinct était trop fort. Elle allaita.
Parmi les trois ratons hybrides qu?il lui avait laissés, il y avait effectivement un petit qui ressemblait à Jean Pierre. Celui-là, Joseph envisageait des tortures monstrueuses pour lui. D?autres expériences affreuses, terribles. Il n?allait pas hésiter à le faire souffrir devant ses yeux de mère, très certainement. Joseph devenait plus mauvais de jour en jour. Plus fou. Plus haineux et plus détestable.
Au bout de six semaines il les lui retira.
Lara tournait dans sa cage pour trouver une sortie. Elle rognait ses barreaux, griffait les parois, tentait de ronger ce qu?elle pouvait saisir.
Puis une idée lui vint. Elle allait faire semblant d'être malade. Pourquoi ne pas simuler la mort? Elle commença par s'arracher les poils par plaques et à se mordre jusqu'au sang. Son état de révolte était tel qu'elle ne sentait même pas la douleur. Elle cessa de s'alimenter et se recroquevillait au fond de sa cage chaque fois que Joseph approchait. Il pouvait appeler, claquer des doigts, elle ne lui accordait aucun regard. Elle gardait le nez entre les pattes arrière, affichant un air absent. S'il avançait la main pour la pousser ou la taquiner, elle ne réagissait pas plus. Elle se faisait toute molle, sans couiner. Joseph repartait en laissant sa gamelle pleine. Elle n'y touchait pas.
Un jour, son mari resta plus longtemps. Il tira un vieux fauteuil en rotin usé devant sa geôle, ouvrit la porte grillagée, posa près de lui un pack de bières puis s'assit. Mais aussi longtemps qu'il l?observa, elle ne bougea pas. Il but ce soir- là beaucoup plus que de coutume. Il se levait en titubant pour aller chercher d'autres bières qu'il s'enfilait d'un coup. Puis il revint avec une bouteille de whisky.
Il se mit à pleurer.
-Par pitié, Lara, ne te laisse pas mourir! Je ne supporterais pas de te perdre, mon amour! Reviens ma beauté, je t'en prie! Demain, c'est promis, je vais tâcher de te rendre ton apparence humaine. Non pas que je te pardonne ta tromperie! Non! Ca, jamais! Mais je ne supporte pas de te voir dans cet état. Reviens Lara! Lara? Je t'en supplie!
Mais la bête ne bronchait pas. Alors, cage béante à mieux la contempler, il buvait, buvait toujours plus, engloutissait l'alcool jusqu'à en tomber le nez devant. Inanimé. Anesthésié.
Alors, Lara se redressa. Elle n'en avait pas espéré autant, surtout aussi rapidement. Si elle avait pu prévoir, elle aurait joué à ce jeu bien plus tôt. Sa prison était grande ouverte, son mari était endormi, le bras à moitié dedans.
Ainsi donc il l'aimait encore, au travers de sa haine? Qu'importe! Il allait payer...Elle n'hésita pas une seconde et se rua à l'extérieur. L'homme émit un ronflement unique et sonore. Au vu de ce qu'il avait bu, il n'était pas prêt à refaire surface.
Elle se mit à fureter partout. Une odeur douce et un peu aigre l'attirait. Elle trotta vers le laboratoire où des reliefs de nourriture traînaient ça et là sur des papiers gras. Elle s'acharna sur des restes de viande, une demie part de riz au lait et un peu de légumes défraîchis. Puis elle continua son exploration. Elle ne mit pas beaucoup de temps avant de faire une abominable découverte.
Sur un plan de marbre gisaient de petits corps nus mi rat, mi humain. Elle s'approcha de la table froide pour mieux voir. Les cadavres avaient été démembrés pour la plupart, les ventres et les crânes ouverts. Tous étaient écorchés. Soigneusement vidés de leur sang. Nettoyés de leurs vicères. Les visages étaient monstrueux. Atroces. A demi dépecés ou rongés. L'étalage de dissection était d'une propreté inseptisée. L'oeuvre d'un fou! Plus loin, d'effroyables trophées dans des bocaux. Sa langue à elle nageait dans un liquide jaunâtre. Des foetus de rongeurs et des foetus humains, soigneusement rangés côte à côte. Des organes. Dans un coin, un immense meuble réfrigérant. C'est dans ce congélateur qu'elle découvrit, épouvantée, des corps humains. Transmutés. Pendus sous housses, impeccables, étiquetés.
Fébrilement elle cherchait Jean Pierre. Il n'y était pas. Elle courut au centre de la pièce, là où elle avait déjà vu le réceptacle des transmutations. Jean Pierre avait-il réellement succombé à une leptospirose? Elle devait continuer à chercher. Retrouver ses petits. Ceux qu'elle avait nourris. Les corps mutilés n'étaient pas les leur.
Une rage machiavélique lui explosait la tête. Rien de toute cette affaire n?aurait du arriver. De ratte soumise elle se sentait devenir immense de révolte, prête à tous les débordements. Comment avait-elle pu accepter ce lavage de cerveau ? Terminées, les menaces, les punitions. Finies les atrocités. Elle se sentait possédée par la hargne du paranoïaque. La haine envers son tortionnaire la rendait folle.
Un petit vagissement lui parvint. D?instinct, elle reconnu le cri d?un de ses bébés. Elle les trouva rapidement dans une alcôve. Aveuglée par son désir de destruction, elle se jeta sur eux et les étouffa tous les trois. Vite. Elle les étrangla de sa queue puissante jusqu?à ce que leurs petits cous craquent et soient rétrécis de moitié, compressés à leur bleuir le teint. Ce meurtre, après tout, n?avait rien d?horrible, et n?était pas contre nature. Ces enfants-là ne devaient pas naître. Elle rogna le visage tuméfié du petit qui ressemblait à son ami. Toute identification devait disparaître. Il fallait effacer le péché. C?était fait. Alors, elle enfouit les trois corps sous un dépôt d?ordures.
Elle n?éprouvait aucun remord. Elle était même soulagée. Elle se sentait normale, apaisée. Mais il fallait en finir avec Joseph avant de retrouver Jean Pierre.
Elle se souvint de l?Augmenta Tor : cette machine faite de cylindres transparents cerclés d?anneaux lumineux. Elle poussa une série de boutons au hasard de son museau. Soudain, le Transpondeur se mit à tourner en émettant un léger soufflement. Elle sauta dedans, les yeux fermés : une lumière intense l?aveuglait. Elle perdit connaissance.
Sortie de sa torpeur elle se rendit compte que son corps de rat était devenu immense. Ses griffes puissantes en témoignaient. Le tronc de son énorme queue battait le sol avec une grande énergie. Elle fit claquer ses mâchoires de satisfaction. Elle avait gagné.
Elle s?enfila avec peine dans la pièce où se trouvait sa cage. Joseph y cuvait encore. Immobile, il s?offrait à son goût de vengeance. Sa queue s?abattit avec précision. D?un coup violent porté à la nuque, elle le matraqua à mort. A part quelques borborygmes, il ne protesta pas. Alors elle se mit à le manger.
Ses dents broyèrent le nez et absorbèrent ses joues par lambeaux, déchiquetèrent ses lèvres avec délectation. Elle avait plaisir à manger de la chair humaine. Joseph lui avait donné de la viande crue et sanguinolente. C?était bon. C?était fort. Elle sentait à présent que vivait en elle l?art de la métamorphose. Elle se sentait capable de retourner à sa forme humaine. Par le biais de cette mutilation, de cette absorption. Elle contrôlait parfaitement tout ce qui se passait autour d?elle et se sentait surpuissante. En osmose spirituelle. Cette chair était succulente. Le corps totalement arque bouté au dessus du cadavre, elle atteignit le c?ur, le ventre et les organes sexuels dont elle se reput. Cette viande attendrie et avinée faisait monter l?ivresse. Elle savait leur alchimie consommée.
Au terme de ses agapes, elle avait repris son apparence de femme. Elle se savait chaman. Capable de transmutation.


Jean Pierre ? Mon amour ? Tu m?entends ?
Elle avait retrouvé le long corps engourdi par les drogues allongé sur un lit de fortune. L?homme chat ouvrit un ?il.
Brutalement, il abattit une patte griffue sur sa maîtresse et l?écrasa au sol.
Il avait d?abord faim.


Marion LUBREAC juillet 2OO7

















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Bonjour Marion,

j'ai lu cette nouvelle, j'ai parcouru les deux autres.
Tu réussis bien ton objectif qui relève d'un genre assez troublant ou identité, sang, horreur et dégoût se mèlent.

Es-tu en train d'écrire un recuil en ce sens?

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BONJOUR FLO ET AVANT TOUT PARDON DE N ETRE PAS VENUE DEPUIS SI LONGTEMPS!!!!!
Oui, en effet j'ai écrit un recueil dans ce sens, que peut être je devrais retravailler! Merci de ton attention
poeticksmacks
Marion!
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