L'amour des jolies choses

0 appréciations
Hors-ligne
Monsieur Aertsens aime les belles choses. C?est ainsi qu?il se défini verbalement lorsqu?il franchit la porte à battants du musée, ainsi encore qu?il l?affirme à des vagues connaissances que sa femme alpague d?un large geste prolongé d?un parapluie bouffant. Et une fois encore, au monsieur qui déchire à la chaîne les tickets sésame des Beaux Arts.

L?exposition fait grand bruit, et de fait, le brouhaha d?une foule montant, poussant, criaillant résonne à tout rompre dans la file qui serpente jusqu?à l?arche de l?entrée. Et là soudainement calmées par l??il au garde à vous d?un gardien minuscule, les foules se taisent, murmurent et se laissent émouvoir. Au centre de la première salle, trône un chevalet immense, qu?on dirait tout droit sorti d?un atelier de peintre monumental. Une toile striée de lumière et d?ocre l?occupe tout entier.

Madame reste en stupeur, plantée au milieu de la salle, pantoise devant l??uvre dont monsieur peine à déchiffrer les volutes biscornues. Il ouvre la bouche, puis la referme, la rouvre encore, avale son borborygme et se laisse errer jusqu?au premier panneau. Madame ausculte ensuite une peinture mignonne, d?une rêveuse attablée avec un ange, elle semble cette fois vouloir prendre part à cette conversation si sage. Mais soudain monsieur capte sur sa droite un éclair rosâtre, appétissant, finement ciselé de gouttelettes de lumière, le tout dans un écrin vert. Son binocle en tombe, il n?a pu apercevoir qu?une énigme, qu?un mystère égrillard, qu?une rêverie plus charnue que la tablée ailée qui occupe sa femme campée sur son pépin.

Mais le buste proéminent de la mégère occupe tout l?espace et la peinture semble disparaître sous les voiles de la myopie. Alors Monsieur glisse son pied sous la pointe du parapluie et l?air de rien, le pousse à peine, mais suffisamment pour déséquilibrer sa moitié.

Enfin, la peinture s?offre à lui, ce postérieur riant, cette cuisse longue à l?épiderme beige où vient saliver un soleil campagnard et printanier. Monsieur n?en peut plus, il s?exclame, oui, décidément, j?aime les belles choses.

Sa femme ne peut qu?approuver, encore, sous l?estocade le l?aile angélique. Lui se détache alors, si pas de corps, trop engoncé dans son vieil habit noir survivant d?un mariage lointain, le sien peut-être, ou celui de son frère.

Mais son esprit, lui, s?invite sur le chemin qui crisse et frétille d?herbes et de gravillons. L?eau d?une rivière qui passe est bienfaisante dans ce paysage champêtre et il désire s?y abreuver. Juste pour retrouver ce teint mat d?homme honnête. Mais chemin faisant, la jeune croupe pivote, et découvre un corps de liane et d?algue, une créature marine qui s?éveille à la condition de femme terrestre et qui semble ne désirer qu'explorer toute l?étendue de ses nouvelles possibilités.

Monsieur laisse choir son chapeau, découvre son crâne viril à cette apparition qui ondule maintenant sous l?effet d?une brise tiède et légèrement humide. Il croyait marcher sur un chemin, mais en fait il déjeune sur une herbe léchée de rosée, en compagnie de jupons soulevés et de fesses étonnantes. Il se croyait vêtu, tout étriqué de noir et amidonné de blanc, mais il est nu, à défaut de la cravate, qui sied si bien à son esprit chevaleresque et conquérant. On peut aimer vagabonder entre val et mont et garder sa bonhommie de gentilhomme. Et celle-ci qui lui déguste à petits coups de langue les doigts de pied, et cette autre qui glissée sous son dos lui fait deviner lequel de ses seins, -le droit ?le gauche ? touche son omoplate libre. Et de nouveau la première qui lui conte merveille d?eau et de sable frais, de nage libre jusque dans son ventre aqueux. Et la second qui dépassant les mots lui fait connaître un vertige que vestige d?homme il avait connu jadis. Le voila enivré de tant de peau et de parfum, d?effluves secrets et de musc piquant, qu?il sent que son corps envisage d?autres mouvements que spectateurs.

Et n?est-ce pas lui, maintenant qui offre aux passants sa croupe et son soleil.

« Ce déjeuner sur l?herbe, vraiment, qui nous vient de Paris », lui dit sa femme, « un scandale, un scandale, tu l?avoueras ».

J?avoue tout, dit Monsieur, habillé du dehors, mais très nu au-dedans, j?avoue tout, j?aime trop les jolies choses.


Derni?re modification le 27-02-2008 ? 23:15:43

0 appréciations
Hors-ligne

2 appréciations
Hors-ligne
Il est délicieusement érotique, ton texte, Flo, j'ai toujours pensé que tu étais géniale dans ce domaine de l'écriture sensuelle
et la photo de Doisneau est super, on pourrait rester des heures devant

0 appréciations
Hors-ligne
Oui, c'est vrai que ça m'étonne souvent moi-même. Sans doute parce que je rapproche inconsciemment cela de beaucoup d'autres énergies créatrices et donc positives. La sensualité est le lieu de l'expression même. Tout s'y manifeste et elle peut se manifester en tout; En ce sens, elle est la signature de la liberté, de la vie.

Pour moi, comme pour beaucoup de poètes dont tu es, presque tout peut-être abordé de manière sensuelle. La poésie permet d'effleurer plus pudiquement quelques fois que la prose ce langage. Cependant, la prose permet d'introduire explicitement une légèreté, un humour qui n'enlève rien à la sensualité, mais qui la réconcilie avec la vie.
S*

Ce n'est pas donné à tout le monde de savoir faire sourire la chair.
Entre les écritures tragédiennes qui font des textes où l'érotisme oscille entre la pure prise de chou cérébranle, et les abbatoirs de la Villette style 'l'amour me déchire et je déchire l'amour et je me crucifie, et je me crus si fille" ,les écritures pseudos-destroy où les auteurs croient que "salope de pute, tu la sens qui ressort par tes oreilles, tiens reprend un peu de coke et après on ira enlever une vieille pour la sodomiser avec un Babyliss, raaah on est trop des rebelles" fait méga-tendance, ou le lesbiano-exotisme à deux balles genre "Sounia laissa la vapeur du hammam pénétrer jusque dans son souk intime où se pressaient déjà les moite marchands du plaisir, pendant que Mouna lui beurrait savamment les seins tout en chantant une mélopée du désert", les écritures érotiques entrent vite dans le territoire du ridicule.
Mais la tienne possède l'arme absolue de ce petit sourire et de ce regard en coin qui est assez souvent saupoudré dans ta prose et là, ça devient souvent un pur bonheur !
S*

ps : depuis récemment, soit dans mon ordi, soit dans l'architecture du forum, soit dans la synergie des deux, il y a un bug qui me donne assez souvent une erreur 302 (déplacement temporaire) quand j'essaye de causer dans ton barbecue des pouéts.
Il est possible que ce soit dû à un upgrade pourave de mon OS (puuuutain comme j'imite trop mal le geek de base!),mais je préfère te le signaler, ô Verte Déesse Atlantéenne de ces lieux, juste au kazoo.
Resoectueuses léchouilles littéraires et je balaie veulement le sol avec les plumes de mon chapeau avec des tressautements incontrôlables d'admiration.

oh!! je vois seulement maintenant ta réponse, que c'est dommage... ((




oh!! je vois seulement maintenant ta réponse, que c'est dommage... ((




oh!! je vois seulement maintenant ta réponse, que c'est dommage... ((



Vous ne disposez pas des permissions nécessaires pour répondre à un sujet de la catégorie Nouvelles ( Atelier).

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 81 autres membres