Le curieux pays de Chamawachaga ( 3-Les mœurs des chamawachaguiens)

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Les m?urs des chamawachaguiens


J?ai déjà cité dans ces notes quelques-uns des comportements des habitants de ce curieux pays de Chamawachaga. Mais aborder le sujet en entomologiste n?est pas des plus aisés. Les gens d?ici ne considèrent pas leur contrée comme un pays en soi. Il ne possède ni drapeau, ni constitutions, ni lois particulières. Le système administratif est désuet et pour tout dire hérité d?anciennes et brèves appartenances à des territoires voisins. Ils ont bien un hymne, mais personne ne possède une version officielle des paroles, tant et si bien qu?il varie selon les manuscrits et les localités. Chacun rajoutant un paragraphe à la gloire expresse de son clocher ou de son héros local.

Le pays de Chamawachaga ne relève pas non plus réellement d?un autre territoire. Il s?avère que personne n?en réclame les quelques dix kilomètres su dix de portion de terre. Pourtant des voyageurs y passent, venus d?autres pays, des maraîchers et les colporteurs en tous genres étalent leurs denrées sur les places, au matin des jours de marchés et usent de change pour la monnaie locale. Mais personne ici ne semble s?inquiéter d?être ignoré des atlas du monde entier et de n?avoir aucune relation officielle avec des communautés extérieures. Les chamawachaguiens s?en battent les côtes avec un manque absolu de fierté nationale ou patriotique.

Il n?est pas non plus connu que le Chamawachaga ait été impliqué dans un quelconque conflit, encore moins les grandes guerres mondiales qui n?épargnèrent pourtant personne. On ne trouve nulle part ces monuments aux morts qui ponctuent les moindres de nos localités. Enfin s?il en existe, ce sont des monuments d?insultes aux morts, ceux qui eurent l?idée de mourir de manière stupide ou en marge des traditions. Il existe aussi des monuments aux morts inconnus, ceux qui vendirent leur nom et donc leur identité Chamawachaguienne. Ces stèles recueillent plus de compassions que les précédentes. Enfin, les étrangers venus à décéder sur le territoire ont aussi droit à leur mausolée, qui surplombe la fosse où ils sont ensevelis. Leurs noms étant ceux qu?ils donnèrent oralement aux indigènes, sans apporter la preuve qui est ici consignée dans le registre d?un marchand de noms agréé. Ils sont donc gravés entre guillemet, comme un fait qu?on rapporte sans en avoir la preuve.

Le principal inconvénient d?une telle absence de reconnaissance et d?organisation s?avère être l?impossibilité de quitter le territoire du Chamawachaga pour aller s?installer ailleurs. Etrangement, les habitants adoptent facilement un grand nombre de sciences, de techniques, d?innovations venues d?ailleurs ? en se les appropriant avec diligence et ingéniosité - , mais aucune ne fait évoluer leur manière de naître, vivre et mourir, qui leur est propre et qui est en totale contradiction avec les règles de droit international. Les gens d?ici n?ont pas de carte d?identité, ni de pays officiel, ni de passeport, ni de filiation par le nom, encore moins de lieu de sépulture classique. Rien qui puisse prouver leur origine. Ils n?existent officiellement pour personne sur cette planète terre, ni même pour leur propre pays, celui-ci ne recensant pas ses ressortissants. En conséquence, un Chamawachaguien ne peut en aucun cas s?établir ailleurs, sans identité, il perdrait tout droit, et le premier d?entre eux, celui de posséder, de manière personnelle et exclusive, son nom en bien propre.

Rares sont donc les Chamawachaguiens qui émigrèrent ailleurs, et s?ils le firent, mieux vaut ignorer à quel prix et dans quelle disposition d?esprit. Pour autant le pays de Chamawachaga n?apparaît pas comme surpeuplé. Les quelques localités y sont parsemée avec harmonie, sur les flans ou au pied la colline qui porte en son sommet la capitale, Chumcherry. Les étendues non habitées sont cultivées ou laissées en friche, au bon vouloir de la nature et du premier venu. Le droit de propriété n?étant consigné nulle part, et faisant partie du grand implicite qui gère la plupart des relations sociale dans ces contrées.

Face à tant de ce que nous appellerions chez nous « vides juridiques », ou plus exactement vides coutumiers, on pourrait craindre que les conflits personnels, les querelles de terrains, les vols ou mains-mises sur les biens soient foison. Et que derrière un paysage charmant et buissonnier, ce ne soit en réalité une jungle pour vivre ou pour survivre. Et pourtant, il n?existe pas ici de métier de police, ni de prison. Ce qui plus que tout le reste, m?étonna fortement. Personne n?a de pouvoir sur les autres, aucune personnalité forte ne dirige et ne gouverne et il n?y a même pas une délégation communautaire de la régulation des disputes et actes malhonnêtes. Il me faut insister sur le fait que je n?ai constaté chez ces gens aucune propension à la perfection ni à la sainteté. Les vices humains s?y retrouvent en grand nombre, comme partout ailleurs et portent les mêmes travers : paresse, envie, convoitise, orgueil, forfanterie, débauche, dissimulation, manigance et autre duperie n?épargnent en rien les flux d?âme et de sang des habitant de ce très curieux pays de Chamawachaga. Et pourtant, aucune autorité civile n?est appelée à la rescousse en cas de dérapage. Cela oui, vraiment, m?intriguait au plus haut point.

Enfin, comme l?exception confirme la règle, les Chamawachaguiens possèdent bien un système monétaire. Il s?agit de rondelles de cuivre qui leur servent de monnaies. Leur valeur n?est pas faciale, mais liée à l?incrustation plus ou moins importante de petites pierres précieuses ou de pierres d?intérêt minéral. Ainsi les granules de pyrites valent davantage que les éclats de porphyre. Encore que cela dépende du poids et de la grosseur de ceux-ci. Il faut une certaine pratique et beaucoup de chance pour pouvoir payer du premier coup ses achats. En effet, si certaines pièces valent beaucoup plus que d?autres, elles n?ont cependant aucune valeur relative fixe. Une rondelle de cuivre - appelée Chagwa ? recelant de la pyrite ne vaut pas autant de fois une incrustée d?éclats de porphyre. Un bien est toujours étiqueté avec le détail de la monnaie qui permet de l?acheter. Un kilo de patate douce vaut, par exemple, un Chagwa de porphyre à cinq éclats, deux Chagwa neutre (sans incrustation) et un sous-Chagwa frotté de charbonnite. On comprendra aussi que ces Chagwa ont une valeur esthétique, et donc liée à la fluctuation des goûts personnels, des modes et des instincts de collectionneurs. Ceci explique certainement la difficile possibilité de rendre le vol estimable à sa juste valeur. Tout bien vaut selon une norme unique et très personnelle. Accepter d?acheter un bien, c?est se lancer dans une quête de la monnaie nécessaire, ce qui peut quelque fois prendre plusieurs jours et dans certains cas, plusieurs semaines. Pour y arriver, il faudra vendre, troquer, échanger, voire fouiller le sol.

Tout achat laisse potentiellement une dette que l?acheteur a un certain délai, lui aussi très souvent annoncé, pour purger. Passé ce délai, des mécanismes sociaux avilissant sont enclenché, et sans que cela ne soit publié nulle part, tout le monde est au courant, jusque dans le plus petit hameau, que vous devez tel Chagwa pour tel bien à tel nom (c?est ainsi qu?on appelle les personne). Et toute la communauté vous le rappellera, quitte éventuellement à vous aider, si vous y avez des amis, jusqu?à ce que votre dette soit effacée. Alors, comme un seul homme, on cessera de vous harceler avec votre dette de chicons ou de poudre de lessive.

Dans les cas les plus inextricables, il est toujours possible d?aller à la rencontre du forgeron agréé. Il n?en existe qu?un, souvent en vadrouille, habilité à forger des pièces rares, pour autant qu?il appert qu?elles aient été égarées et que le registre des Forges attestent de leur existence passée. Pour payer ce service, cependant, le forgeron est connu pour son excentricité et quelques fois sa subtile perversité. Mieux vaut donc bien connaître le contenu de son porte-Chagwa avant d?effectuer tout achat inconsidéré.


Dernière modification le 05-02-2009 à 12:44:03
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