Les fées

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Annabelle et les fées

En ce temps là (et c?était un bien joli temps, où les colombes portaient encore des brins d?olivier aux coins stratégiques de la planète, où le poulet rôti avait la chair ferme et savoureuse, où les hannetons voletaient sous les réverbères), en ce temps là donc, Annabelle quitta son village pour aller s?installer à l?orée de la forêt.
Elle voulait étudier la faune et la flore, et surtout, elle espérait secrètement rencontrer l?une ou l?autre fée.
Elle savait déjà combien il est difficile de les deviner, de les découvrir, et si cela arrive, de les retenir.

Les fées naissent à l?aube dans la perle de rosée, se cachent dans la goutte de pluie qui roule le long d?une feuille ou dans les bulles de savon que soufflent les enfants au soleil. Elles glissent sur les arcs-en-ciel, somptueux toboggans Elles vous observent sous le dôme d?un champignon ou sous une écaille de pomme de pin. Elles frôlent de leurs cheveux ambrés votre joue offerte au vent. Vous croyez les apercevoir, et quand vous vous approchez, il ne reste qu?une illusion.
Annabelle savait cela. Chaque matin très tôt, elle partait en reconnaissance, elle prenait des croquis de fleurs et d?insectes, étalait des notes dans un cahier à la couverture en moleskine noire, s?arrêtant parfois pour étudier la courbure particulière d?une tige de sceau-de-Salomon, la fuite du doryphore sous les feuilles, la course du lézard sur un tronc d?arbre abattu.

Elle ne retournait pas au village. Quelquefois, sur le sentier qui bordait le bois, passait Amédée avec sa carriole chargée de légumes frais, de fruits juteux, de bidons de lait, de crème onctueuse et de pain bis. Il s?arrêtait pour lui déposer des provisions, lui donner quelques nouvelles du pays.
Amédée aimait ces rendez-vous épisodiques. Souvent il ajoutait un pot de yoghourt aux framboises et à la menthe, un jus de mangue ou de kiwi. Il avait toujours éprouvé pour Annabelle un doux sentiment, qu?elle semblait ne pas remarquer, tout absorbée qu?elle était par l?effervescence, la beauté, la complexité de la nature à laquelle elle accordait tout son temps.
Elle devint une familière des habitants de ce bois.
En quelques semaines, elle avait dénombré bien des plantes diverses, sauvé des libellules de la noyade, apprivoisé des écureuils.
Mais malgré sa grande patience et son sens extrême de l?observation, elle ne rencontra pas de fée.

Et puis un soir, lorsque le soleil couchant effleurait de sa pourpre le toit de la cabane, elle entendit un frottement très léger. Elle regarda par la fenêtre et vit une fée minuscule qui tentait d?attirer son attention par des battements d?ailes accélérés, d?où s?échappait une poudre multicolore.
Elle la fit entrer, la regarda se poser sur l?anse de sa tasse de café, et l?écouta, retenant sa respiration.

-J?ai un grand privilège à te demander, dit la fée. Chaque matin, j?entends les oiseaux chanter ton prénom. Il est tellement beau que je voudrais l?échanger contre le mien.

-Mais quel est votre nom ? demanda Annabelle, déconcertée.

-Gervaise.

?Gervaise! s?exclama Annabelle. Mais ce n?est pas un prénom de fée !

-Voilà bien le problème, dit la fée. Personne ne me prend au sérieux, on s?esclaffe lorsqu?on entend prononcer mon nom, même ma baguette magique se tord de rire, et de ce fait dévie les sorts qui prennent une direction non désirée. Ainsi, en demandant que recule une masse de nuages orageux, j?ai inversé le cours d?un ruisseau. En voulant ajouter quelques nuances de rose aux fleurs des champs, j?ai coloré un troupeau de vaches. Je ne fais plus de magie, mais de la tragi-comédie. Mes soeurs ont pour jolis noms Zélinda, Gaudeline, Delcinie et font des merveilles. Et moi, je suis condamnée à la risée et à l?échec.

-Mais qui vous a affublée de ce prénom ?

-Ma mère, par gratitude envers une hotteuse qui lui évita de se faire écraser lors de la chute d?un arbre. Les bûcherons ne sont pas toujours conscients des dégâts qu?ils peuvent provoquer. Cette femme se prénommait Gervaise.
Alors que penses-tu de ma proposition ?

-Mais je ne tiens nullement à changer de prénom !

-Et si en remerciement je t?offrais un peu de mes talents de fée ?

Annabelle réfléchit. Bien sûr elle trouvait la contrepartie alléchante. Mais tout de même, se prénommer Gervaise ! Brusquement elle eut une inspiration : « J?ai une autre suggestion à vous faire, dit-elle. Je vous cède la moitié de mon prénom. Je garde Anna, vous serez la fée Belle. »
Gervaise sourit, séduite. « Topons là » dit-elle, et elle tendit à Annabelle une menotte de la taille d?un pétale de myosotis.

« Maintenant, voici les pouvoirs que je te donne : tu pourras, en fermant les yeux transformer le crépuscule en feu d?artifice, les heures grises en journée printanière, faire fondre l?amertume dans le coeur des gens aigris, apaiser un enfant malade, reverdir l?herbe par grande sécheresse. Et d?autres choses encore, à toi de les découvrir?
Mais seulement dix jours par an. Le merveilleux n?est pas d?un usage quotidien. »

Anna n?en croyait pas ses oreilles (petites et bien ourlées), elle était ravie et se retint de faire des bonds. (A l?école, elle était très douée en gymnastique et avait été sélectionnée pour le concours régional de saut en hauteur, au profit de la sauvegarde des kangourous en Australie. Tout cela parce que les gens, de plus en plus à la recherche de saveurs nouvelles, s?attaquaient maintenant aux autruches et autres animaux exotiques). Quand la fée Belle disparut, elle crut avoir rêvé.

Après quelques semaines, elle rentra au village. Sa tante Hermande avait organisé une fête éblouissante pour l?accueillir. Elle s?étonna de l?absence d?Amédée. On ne l?avait plus revu depuis quelques jours. Elle ferma les yeux, se concentra très fort. Lorsqu?elle les rouvrit, il se trouvait devant elle, avec sa carriole chargée de fleurs des champs (et aussi de quelques autres qu?il avait dénichées au petit matin dans le jardin du curé, pendant le premier office).
A lui seul, elle raconta son étrange rencontre. Les autres auraient pensé que la solitude avait débridé son imagination à un point proche de la folie. Lorsqu?elle assécha une mare où un enfant venait de tomber, lorsqu?elle évita au vieil Adrien devenu aveugle de trébucher et de se blesser sur une fourche, lorsqu?elle illumina une nuit noire d?une multitude d?étoiles, les gens ne surent jamais qu?elle était l?auteur de ces prodiges. Ils pensèrent à un bouleversement de la nature, dû à d?inexplicables modifications climatiques ou à des forces occultes.


***


Bien sûr, on n?y croit plus, lorsque l?on devient adulte. Les fées n?existent pas vraiment. Elles peuplent les contes et les songes des enfants. Ils rêvent de la baguette magique qui leur permettrait de changer la pluie en soleil, d?avoir de la neige à Noël, le jouet qui leur fait tellement envie. Plus grands, ils imaginent transformer le monde, et puis avec le temps, il faut se rendre à l?évidence?Les fées n?existent pas. Rien ne peut être transformé, modifié avec une formule magique.
Et pourtant ! Moi je crois qu?un jour, lasses d?être écrasées dans les bois par les pieds des promeneurs, elles se sont réfugiées dans un endroit secret.
Leur forme est différente :
Certaines femmes (pas toutes, j?en connais qui sont sorcières) sont des fées à qui on a coupé les ailes. Elles ont pourtant des ailes invisibles aux yeux des humains : elles volent là où les conduit leurs rêves.

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Pardon à toutes les Gervaise!

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J'ai emprunté les deux premiers paragraphes et je les ai postés sur Au Jour d'Hui avec le lien, parce que OUI, OUI et OUI, il faut partager ce joli conte avec les plus d'enfants possibles - je veux dire .. vaec le plus possible de gens ayant conservé leur coeur d'enfants !

Dis, tu en a d'autres, de ce tonneau ?
CC

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Ben dis-donc! Là je crois que je vais bien dormir!

Oui, j'en ai d'autres, ils sont en grande partie sur le site de Flo, "l'âme de fond", j'ai choisi un "conte" qu'elle n'y avait pas encore mis.
C'est celui de tous qui convient le mieux aux enfants. Certains autres aussi peuvent l'être, mais en adaptant les mots. Merci Lise, je crois bien que tu es aussi une fée! Tu m'as écrit sur ton blog que tu étais une apprentie sorcière, tu vas cumuler les talents.

Derni?re modification le 16-05-2009 ? 23:00:38

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Les défauts, je cumule.. ( pleurs et grincements de volets ! ) On en reparle, mais d'abord je cours lire les autres sur l'Ame de Fond - et bon, alors, bonne nuit - il est déjà 2 heures, presque 3 heures du mat chez toi ! ( Ici, 20:55, pluie,orages, vent et la température est tombé de 23 à midi à maintenant 12 ! quel pays, mais quel pays !!! )
CC
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