Passe-moi le sel de ma vie
clepsydre

Il y a cette instance de l?esseulement, cette itération du désert rassemblé, grain par grain, dans les paumes des matins puis des journées. Le soir autrefois faisait exception. Il était la gourmandise, le secret, la retraite. Mais le soir disparut lui aussi. Quelqu?un l?avait volé. Quelqu?un, on , quelque chose, cette indistinction que le langage nous permet pour retourner le miroir du questionnement. Le soir disparu donc, c?était très embêtant. Il n?y avait plus vraiment de sel sans lui, plus de récompense, plus de pause. Le matin explosait en mille gestes précis : se lever, les lever, boire un café, les faire manger, s?habiller, veiller à leur habillement, les coiffer, une ou deux tresses, où est la brosse ?, se coiffer, préparer leur sandwiches, leurs dix heures, leurs quatre heure, s?enfourner dans le froid, le pluie, le vent, la voiture, l?école, crier, houspiller, consoler, agiter mains puis coller baiser, partir travailler.

Travailler, revenir, faire tout la même chose dans l?autre sens. Les faire dormir, et s?endormir... Bien sûr elles sont deux, on est deux. Mais elles ont l?avantage numérique des gestes dépendants. On en vient à penser que l?accouchement, décidément, dure trop longtemps. Qu?elle grandisse un peu, merde?

Puis bon, elle perd une dent, juste là, au-dessus, c?est pas la première, mais c?est la plus charmante. Elle est ravie, depuis le temps qu?elle branlait et qu?elle l?empêchait de croquer les pommes à pleine bouche. Puis vous la regardez. Hier, elle a ramené sa première déclaration d?amour, sur un petit papier plié en trois, avec des étiquettes-mots « aime" et « bien » collés entre les deux prénoms. Et elle évente son secret avec l?assurance d?une petite fille comblée d?amour. Alors vous la regardez, je la regarde, je tire de toute mes force sur le fil du moment, je l?empêche de se carapater, de défiler le temps jusqu?à ce qu?elle soit grande merde. Je n?ai jamais le temps de mettre toutes les photos, les centaines, les milliers de photos en album. Et si jamais j?oubliais, quand même.

Il faut que je lui tire le portrait ce soir, ou demain, avant qu?il fasse trop sombre et que le flash la blêmisse. Elle ne se laisse jamais faire au naturel. Faut que je l?ai son air ravi, mutin, canaille, son espace dans son sourire, et son amour solaire sous ses tresses blondes. Faut que je la garde un peu plus longtemps. J?ai beau tirer, elles grandissent. Et mes journées se raccourcissent. Quelqu?un a volé tous mes soirs, quelque chose comme ma vie m?échappe, on ne m?avait pas tout dit. Ce soir... Pas que j'oublie la petite souris. Elles m?ont eue? merde.
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