Soleil sans disciples - 4. Le lait noir du printemps

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Ouvrant ses deux paumes vers cette pluie gelée âpre, elle la captura dans sa main - de petits oignons de glace. Le rire venait du fond de son ventre ; un rire à gorge déployée, hoquetant, abandonné. Elle tendit les bras, ça brûlait légèrement la peau. Et si c’était Dieu ?
- Rune Christiansen, Fanny et le mystère de la forêt en deuil.

Réalisation : Julie Gautier
Musique ; Rain in your black eyes. Ezio Bosso.
Chorégraphie : Ophélie Longuet




Soleil sans disciples.
4. Le lait noir du printemps


Tu me souviens ?
le ciel dégelait
il en tombait
des boues noires
-l’or des futurs souvenirs-

Les roses piquent tes épaules nues. De la forêt sortira un jour le sexe du cerf, c’est promis. Les affaires ne sont pas bonnes. Il va falloir vendre. Ou peut-être louer un de nos arbres. Les gens recherchent les arbres. Oui, il y aura la queue et les gens attendront leur tour patiemment, rien que pour les toucher pendant une minute. Cinq avec le compte Premium. Je ne sais pas si les arbres aiment les gens mais les gens aiment les arbres. Et ce sont les gens qui payent. Et ils les caressent et les caressent encore, les râpent, les blessent, et peut-être les tuent, mais avec tellement de soif, de désir et d’amour que les copeaux de bois semblent remercier de quelque chose, comme un obscur cadeau contenu dans la maladresse.

Ce sont les gens qui payent. Et moi je veux garder la maison.   

le ciel dégèle
tu me parles de nos projets
et je suis trop bas
enseveli sous la lumière
- le printemps est comme fou
cette année-
j’entends à peine ta voix
le bébé a soif
il ne s’en souvient pas
pas encore
il a simplement soif à chaque seconde
à chaque seconde une nouvelle soif

et regarde
j’ai un peu bouclé mes cheveux
juste pour le bonheur
juste pour cette seconde de lumière
ces spirales qui brillent sur ma tête
et que tu regardes
avant de rentrer
et ne pas dormir


Tu comprends ? Il ne s’agit pas de recommencer le monde mais d’en créer un nouveau. Peut-être avec d’autres matériaux de base, peut-être que c’est le carbone le problème ? Je ne sais pas. Tu te rends compte, il y a des enfants qui se sentent déjà vieux à dix ans, comme des vieux chiens qui lèchent leurs plaies en remerciant leurs maîtres de leur infliger des blessures non mortelles.
Et tout ça c’est peut-être juste à cause du carbone.

les roses piquent tes épaules nues
et les arbres rapportent peu
viennent les gens des boutiques fermées
des usines creuses des bureaux vides
ceux qui n’ont plus rien d’autre à faire
que vivre encore un peu
et venir toucher nos arbres
et sur le mur
je vois l’ombre de ton sein
et bébé tombé du ciel
qui s’y accroche
et boit

les affaires vont mal et le lait coule à flots

Et tu crois que ça finira un jour, tout ça ? Je veux dire le repliement du monde, comme cette feuille de papier qui rétrécit dans le jeu d'enfant qui te prédit ton destin.  À la télé, ils ont dit que respirer une fois sur deux pourrait arranger bien des choses et peut-être même tous nous immuniser. Ou alors, si on gardait seulement une personne sur deux ?
Ne me regarde pas comme ça, ne me regarde pas avec tout cet amour dans les yeux, non mais tu te rends compte ? Tu oses m’aimer après ce que je viens de dire ?

Mon lait n’est pas comme ça, mon lait est meilleur que moi, mon sein ne sait que donner. Si ça ne tenait qu’à lui, tu sais, le monde serait assez grand pour tout le monde. Et puis, dans le temps, j’avais deux amoureux et je t’ai choisi toi et tu étais bien content, non ?

S’il n’y avait pas le carbone, tout irait tellement mieux.

Le ciseau coupe la feuille
mais pas le caillou
ni toi
les roses piquent tes épaules nues
il est tard
l’ombre de ton sein s’allonge sur le mur
et soudain bébé et toi
vous paraissez immenses et très élégants
comme des dieux venus visiter ce monde
malgré le carbone
malgré les gens
jetés non recyclables
qui respirent bruyamment
tout essoufflés d’être parvenus à pied
jusqu’à chez nous
maigres aux mains tendues vers nos arbres
qui les remercient de les réduire en sciure
et le virus nous tient toujours lieu de pays
mais tu es là et tout va bien
je te souviens

à l’intérieur de toi
il ne fait jamais noir

Un jour, tu sais, c’est la vie qui devra prendre des leçons de nous.


Dernière modification le samedi 20 Février 2021 à 23:55:12
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


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Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)

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D'abord la vidéo de ce moment de grâce, hautement symbolique, de cette danse en apnée.
Ensuite ce texte dans le pur élément de ton verbe, stél. Une histoire à vivre devant. Ca m'a fait du bien de te relire, poète souterrain qui creuse des galeries dans les lieux de mémoire. Obstinément. Poète de plein ciel, de plain-chant.

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Merci Flo, chère amie des anime-eau ^_^ Pour de vrai, ton message me touche et me ravive. Heureux que le texte t'ait plu et merci d'avoir plu sur lui pour lui donner vie.
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


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Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)
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