Soleils sans disciples - 11.Géométrou

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Croire que l'un est tué et que l'autre tue, c'est également se tromper. 
-Krishna à Arjuna dans la Baghavad-Gitâ.



Lorelei, par les Cocteau Twins, Elisabeth Fraser au chant : 











Soleils sans disciples
11.Géométrou


Comme nous, la femme sortie de la fissure dans le miroir rond qui remplissait la moitié du ciel, pouvait croître, désirer et mourir.
Mais sa manière de chanter venait d'ailleurs, d'un pays presque voisin, peut-être futur, un pays qui aurait perdu un jour la clarté de l'air.

chez elle
la lumière a longtemps tremblé de peur
chez elle
la guerre a fendu même le ciel
faisant tomber le tiers des étoiles
puis peu à peu
son monde a guéri de nous

Elle ne chantait pas pour nous - dans sa bouche nous n'étions pas même un souvenir-,elle chantait avec cette voix particulière de ceux qui se sont hybridés avec les dieux. Et au fur et à mesure qu'elle chantait, la blessure sur le miroir rond du ciel se fermait pour se rouvrir là où il fallait.
Et les deux tiers restants des étoiles semblaient un champ de fleurs vigilantes, mais prêtes à pardonner au monde,
à condition que nous n'en fassions plus partie.

alors nous avons conçu le Trou
la bouche sans appétit qui allait nous annuler
nous avons tiré des cordes
calculé des diamètres et des rapports

quand le trou fut assez profond
et noir au delà du concevable
le miroir rond du ciel s'est ouvert
et de la longue crevasse de verre
est sortie la chanteuse
à présent entière

Comme nous progressions très lentement, sans refus mais sans envie, en cercle autour du Trou, avant de mourir j'ai essayé de reconstituer la trame.
Même après de longs siècles d'éparpillement, nous disions encore des mots proches, et cela ne nous a pas empêché de nous tromper les uns les autres.
Jadis, nous avons conçu les vases en forme de cloche et les motifs à cordes tressées et le monde en est devenu plus beau. Mais sans le désir de se réunir, sans la foi profonde en l'arrêt du massacre, tout cela ne servait à rien.

et nous dansions
au détriment de la qualité des sols

le soir où
la métisse femme-oiseau
en eut assez
de nos tristes habits de fête
elle chanta l'heure de partir
et nous nous dirigeâmes nus et fiers
vers le Trou de destruction

placés bien en face
le Trou dans l'axe
du grand Plein rond du ciel
le Bandha et la Mukti se regardaient sans hostilité

l'un à l'autre nécessaires

D'un pas vif et de tout notre être, nous tentions par le jeu de nos pieds de faire sonner une belle fin. Le sol guérissait sous nos rythmes, enfin nous caressions la courbe des règles, enfin nous goûtions la texture savoureuse de l'espace et dégustions le temps capiteux. Nous devinions même comment s'accouplent les pierres. 
Et l'air charriait de l'un à l'autre d'entre nous les ultimes et doux parfums de nos corps. 

oh
comme nous étions lumineux et méritants
en notre tout dernier jour
-si seulement nous avions pu commencer
par celui-là-

à l'extrémité du long chemin clair
bordé d'herbes tendres
se tenait pour nous
l'arrêt de toute chose

Géométrou, chantait le Puits d'Annulation en inspirant.
J'ai haut mes trous, répondait en expirant la femme-oiseau sortie de la longue blessure du verre
Puis ils inversaient, et de ce vortex, pendant que nous mourions, naissaient en cercles les âmes des enfants qui feraient mieux que nous. 

et la chanteuse dans le miroir rond du ciel
à présent entièrement réparé
guérissait sans nous le reste du monde









Dernière modification le mercredi 27 Septembre 2023 à 12:27:58
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


*
Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)
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