l'éveil fut rude
jamais printemps n'eut les ongles si longs
ni ne déchira la terre d'un soleil aussi fou
la lumière atteignit même le fond des boîtes fermées

clairs linceuls
voilaient la chenille qui rampait
pudique

l'éveil fut infiniment doux
femme du ciel aux dents qui brûlaient la peau
en se plantant dans nos épaules
femme aux yeux doux
un cœur au bout de chaque cheveu
un baiser au bout de chaque souffle

ce n'est pas elle qui faisait mal
mais nos poils qui rentraient précipitamment

seule la neige
seule dessous
seule fraîche
seule la lune
sous ses pieds

femme au sang fruité
voulait nous revoir
de plus près

sous cette lumière là
chaque cheveu renvoyait une couleur différente
unique
et ce simple détail marqua la fin de ce qui passait alors
pour la civilisation

ce jour était pourtant un jour comme tous les autres
au centre commercial
on vendait des vraies graines sous les étals
cachées dans des flacons opaques coincés entre les pieds des marchands
hors de portée des caméras
quelques vraies graines serties dans des mottes de vraie terre
bien grasse et chargée de ces vers qui savent faire le vent sous nos pieds

de ces beaux vers
grâce auxquels la phrase verte de sous la terre tient en un seul souffle
de ces petites flammes qui rampent et valent les plus hauts des oiseaux du ciel
qu'il faudrait savoir élever dans sa paume
et présenter au soleil comme un bouquet de gloire
de ces petites virgules claires à verser dans nos plaies

quelques mottes de vraie terre chargée de ces fleurs méconnues
de ces piliers du monde qui se tordaient gaiement

femme
aux
vers
luisants
versés
de
ses
mains

l'éveil fut un long chemin
aux cailloux plus nombreux que les sources
il en a fallu des pieds de rechange
et des pelles pour creuser nos poitrines
jamais assez vastes

l'éveil fut une interminable succession d'apnées
dans l'hypermarché il fallait sauter d'allée en allée
éviter les balles
ne pas trop s'attarder à pleurer nos frères à peine morts
et déjà présentés dans les rayons
résister à l'envie de les dévorer
et passer en tyrolienne des gouffres éclairés au néon

puis pour patienter jusqu'à ce que la vie revienne
se nourrir comme nous l'ordonnaient nos maîtres
de fruits sous plastique

les annonces des hauts-parleurs
élevaient un mur entre chaque pensée
I care for you*
dit le chapeau de verre
I care for you dit le dome
je suis transparent
sous moi tu vois tu sens tu respires
I care for you dit le couvercle
voici que je vous nomme
choses things cosas dingen recksy hajèt
les soldes sont prolongées
le Quincy est à flot
et l'Invincible Armada ne peut pas couler

seules les larmes
seules noieront
seul le frottement du vivant sur le ciel
seul l'enfant aux bras coincés dans la machine
seul sait la valeur de l'étreinte
anagramme d'éternité

l'éveil fut tendre et grouillant
femme vortex
femme centrifugeuse
femme tourbillon
étoile qui commanda à tous les vers de la planète
de se mettre à danser
pour aérer le sol de leur cadence
et faire un meilleur fond pour la photo de classe

Dieu tenait beaucoup
à ce que son selfie soit réussi
pour le poster le soir-même

plus haut et plus bas que nous
tout le monde attendait impatiemment de nos nouvelles