Avec plus de sérénité qu'elle n'en ressent vraiment*, elle pose un
pied décidé, puis l'autre, sur le nouveau continent.
elle est salée
de la pointe de sa langue à l'arrière de ses genoux
et non de la tête aux pieds
ni verticale ni horizontale
elle se rend compte que son centre de gravité s'est déplacé
la bouche entend
l'oreille parle
elle se sent traversée un axe diagonal de sel
un sel lourd
animal
qui tire la langue
un sel dont elle est le sel
elle a passé beaucoup trop de temps dans l'eau
elle se sent lourde comme une poche prête à crever
et pure comme un chagrin inguérissable
Sa mémoire n'a pas
été altérée à proprement parler. Lorsque son histoire sera contée,
il sera de bon ton d'expliquer que de minuscules diplomates
circulent entre ses neurones et signent des traités qui rendent la
réalité plus acceptable.
Jeu, drame, quête, qu'elle choisisse son prisme.
la bouche entend
l'oreille entend
il serait si simple de se souvenir de tout ou de rien
mais c'est toujours quelque part entre les deux
non pas à mi-chemin qui serait une forme d'équilibre
non pas là où il suffirait d'ouvrir les mains en coupe
pour distribuer harmonieusement les flots de part et d'autre du continent
elle
la lumière qui glisse sans cesse sur les marches de l'escalier
se trouve toujours un peu avant ou un peu après
ni verticale ni horizontale
bulle respirant à l'intérieur d'une décimale
fraction qui composera la majeure partie du prochain printemps
le temps qui a passé est incalculable
si elle avait eu des enfants ils seraient tous plus vieux qu'elle
de son long périple elle a su tirer une seule et unique conclusion
en tous temps et en tous lieux
le plus beau dans l'humain c'est son cheval
elle en collectionne les portraits et les représentations de toute sorte
de la paille jusqu'au marbre
elle les contemple avec plaisir dans son jardin le soir
et leur donne vie par jeu du début à la fin de la nuit
lorsqu'elle est chez elle
elle n'est jamais chez elle
pourtant
-par la torche de Déméter-
ce n'est pas faute d'avoir essayé d'y revenir
Pas un seul cheval en ce nouveau lieu, mais les faubourgs d'une cité qui s'étend jusque dans la mer.
Des nuées d'oiseaux qui tournent en tous sens, la mettent en joie et lui donnent envie de danser de plaisir
pour
cet océan argenté qui vole.
Jusqu'au moment où elle
aperçoit le tas d'ordures. Si vaste qu'elle se demande si la ville a produit les déchets
ou si les déchets ont produit la ville.
alors
ni verticale ni horizontale
la comète qui infléchit sa courbe
à s'en rompre les cheveux
fait ce qu'elle sait faire
elle prend sa carapace de tortue
et se met à jouer
au milieu du tas
ses pieds à moitié immergés
dans une fin de matière qui hésite encore entre différents états
la bouche parle
l'oreille parle
Alors, les ordures se mettent à vibrer, le tas d'oubli entre en chant et les oiseaux
tournoient avec intelligence, propageant et amplifiant le son,
ce qui doit mourir meurt
ce qui doit vivre vit.
et le son naturellement délicat des cordes
devient formidable et se propage de loque en loque
l'amoncellement d'immondices semble briller de mille feux d'or
s'animer comme les chevaux de son jardin durant la nuit
tout est prêt
audible
la bouche parle
l'oreille entend
tout est prêt
il ne lui reste plus qu'à trouver un endroit
où quelqu'un vit encore
* cf
Le jardin que ma fleur cherchait<=*vous êtes ici*<=
L'évasion aux clés de lune =>
L'astre qui voulait murmurer =>
Onzième corps de la chouette =>
Premier chant de la comète