Oiseaux d'hiver- 9. Le jardin que ma fleur cherchait

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Grande haïsseuse de l'hubris et de la mégalomanie
Oblitératrice de la rancœur noire
Par tes roues creusantes, labourantes et sans trace
Sur cette Terre tournent les fortunes scintillantes de l'Homme
- Mesomedes, 2ème siècle av. JC, Hymne à Némésis

David Bowie, Station to Station, dans le film "Moi, Christiane F.", 1980




Oiseaux d'hiver
9. Le jardin que ma fleur cherchait

Il ne lui reste plus qu'à trouver un endroit
où quelqu'un vit encore*

sa carapace de tortue sur le côté
la lumière qui venait des tréfonds a atteint un quartier insouciant
loin de l'ordure et de la matière imprécise
un bel alignement de maisons sans poussière

dans un jardin se donnait une fête connectée
les tablettes y entouraient un feu paramétrable
sur chaque écran du cercle un visage ami souriait
la jeune fille de la maison célébrait
seule
-les pupilles dilatées son sang charriant des faux dieux-
l'anniversaire de son smartphone
alors elle avait décidé de lui offrir un humain en sacrifice

précisément le vingt-deuxième qui passerait devant son portail

cet humain c'était la voyageuse
-du moins elle en avait toutes les apparences-
alors celle qui venait du ciel de la Thessalie
a souri au sourire de la fille qui l'invitait

l'astre qui nous aimait de trop près
avait traversé la moitié des mers et des terres
sans compter les siècles
elle était fatiguée
elle voulait planter quelque part en ce monde
une et une seule petite fleur
alors pourquoi pas là ?
pourquoi pas chez cette fille encore plus seule qu'elle
pourquoi pas celle à laquelle elle pouvait donner l'illusion de ressembler ?

Elle a agité ses bras devant son visage alors la fille a cru qu'elle dansait et a cherché à l'imiter. Des vidéos
ont tout de suite circulé et ça y était, le monde devenait meilleur
pendant trois minutes trente-quatre, elle était la fleur, ses bras les
pétales
et tous étaient sauvés.
Chaque ami du cercle des tablettes s'est mis à danser depuis chez lui,
comme elle, longtemps, jusqu'à l'épuisement, jusqu'à se rompre le
bassin, jusqu'à vomir un jet rouge vertical qui ne rejoindrait jamais aucun ciel, avant de tomber en morceaux.

mais elle
elle ne dansait pas
elle bougeait seulement pour se protéger des coups
l'autre fille ne se rendait pas compte qu'elle la frappait
elle continuait à lui sourire
en la suppliant
reste
lui proposait une chambre deux doses d'exta trois niveaux de Candy Crush
l'argent planqué par ses parents un forfait trente gigas
ses bras son sexe et sa bouche
reste
tout ce que tu voudras mais reste
je me sens si seule tu seras si bien
reste
elle ne se rendait pas compte
elle ne voyait pas le sang sur ses poings

alors
la comète qui caressait les arbres en s'y déchirant
s'est assise en lotus
l'a laissée s'approcher
et frapper

offre moi
offre moi à tes dieux
mais promets moi de planter ma fleur

puisqu'il faut bien mourir de quelque chose
je veux bien mourir de toi
mais promets moi

Sur l'écran du smartphone posé au milieu du jardin, crépitait silencieusement une grande flamme. Elle s'est dit que finalement,
les choses n'avaient pas tellement changé. Sur les tablettes les amis
morts et leurs fragments s'étaient endormis. Exactement comme chez elle,
exactement comme au pays de ses pieds, après le deuxième jour des Anthestéries, à la
fin du concours de buveurs, juste avant la pleine lune de mars

Et puisqu'il ne vivait pas, ce feu là au moins ne pouvait pas la brûler.
 
elle a rassuré sa nouvelle amie qui la pleurait déjà
j'ai mal et ce corps est blessé mais je ne peux pas mourir
petite sœur tu n'es pas seule
c'est d'accord je reste un peu si tu plantes ma fleur
chez toi
tiens la voilà
tu es le jardin que ma fleur cherchait
je te choisis mais souviens-toi
relève la tête regarde-moi regarde-moi fort et souviens-toi toujours de cette simple phrase

nous attendons les signes
mais nous sommes les signes




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Dernière modification le jeudi 01 Mars 2018 à 08:02:08
Remercie pour la lumière du jour
pour ta vie et ta force
-Tecumseh, chef Shawnee


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Avatar : Déesse Epona, bois de chêne, alliage cuivreux, tôle d'argent et pâte de verre, Ier-IIème siècle, Saint Valérien, Bourgogne (actuelle Yonne)
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